Session 6: presentation
Session | 6 (1993–1994) |
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Participants |
Nathalie Anglès |
Direction |
Adelina von Fürstenberg |
Session website | – |
Coordination | – |
Tutoring | – |
Educational team | – |
People met |
Jordi Colomer (artist) |
Travels |
Catalogne (Barcelona) |
Interview with Pierre Grand
Entretien avec Pierre Grand
par Ekaterina Shcherbakova
03.04.2018
Pierre Grand : J’ai fait partie de la dernière session sous la direction d’Adelina von Fürstenberg. Et à l’époque, nous avions créé la première association des anciens élèves de l’École du Magasin. Cela n’a pas perduré suite à la volonté d’Yves Aupetitallot. Il n’a pas voulu qu’une association d’anciens élèves gêne son travail. Ce qui est intéressant avec l’École ce sont les différentes étapes qui sont liées aux différents directeurs. Il y a un premier concept de Jacques Guillot. Puis Adelina arrive ensuite, et organise les premières sessions d’une manière extrêmement intéressante du point de vue de leur mode de fonctionnement qui est aussi un peu délirant. Les six premières sessions de l’École ont eu des conditions incroyables. Nous avions tous en moyenne une trentaine d’années. Nous avions tous travaillé auparavant : c’était un prérequis, il fallait avoir une expérience et un projet professionnel. C’était une première chose importante. Ensuite, beaucoup de voyages étaient organisés ; nous avons pu parcourir l’Europe à la rencontre de l’ensemble des institutions d’art contemporain. Très vite, l’École a eu une aura importante. Il y avait aussi un rapprochement qui était assez intéressant d’un point de vue historique avec l’Institut des Hautes Études en Arts Plastiques qui suit à peu près le même parcours. Il y avait une vraie volonté d’avoir un positionnement français sur le monde de l’art qui n’existait absolument pas à l’époque. C’était aussi lié à la création des centres d’art comme Le Magasin, le CAPC de Bordeaux, et à un moment où la France avait la volonté de rattraper son retard. Et c’est pour cela que nous avions pu aussi bénéficier d’autant de moyens et de contacts.
Ekaterina Schcherbakova : Et comment avez-vous appris l’existence de l’École ?
PG : Tout le monde en parlait. Si l’on avait un projet professionnel et qu’on avait envie de s’intégrer dans le milieu de l’art contemporain en France, il fallait passer par l’École du Magasin.
ES : L’École était-elle présentée comme un programme de formation de commissaires d’exposition ou bien de médiateurs ?
PG : Il y avait en gros trois typologies de personnes recrutées : les artistes, les gestionnaires et les créateurs.
ES : Il n’y avait donc pas l’idée que tous allaient ensuite devenir curateurs ?
PG : Non, loin de là. L’École était faite pour rentrer dans le milieu de l’art dans toutes ses formes. Il y en a qui sont devenus galeristes, il y en a qui sont devenus curateurs, il y en a qui sont devenus artistes.
ES : Mais vous aviez tous déjà une certaine expérience professionnelle dans le milieu de l’art.
PG : Exactement. L’École était un véritable accélérateur.
ES : Et vous, que faisiez-vous avant l’École ?
PG : Avant, j’étais à Clermont-Ferrand où je travaillais sur un festival d’art vidéo qui s’appelait et qui s’appelle toujours Vidéoformes. J’ai monté lentement la structure du festival : son mode de fonctionnement, etc. Après, je suis parti pour l’École du Magasin. Et j’ai été recruté avant la fin de la session comme administrateur du CCC de Tours et de l’Atelier Calder. Anastassia Makridou qui était avec moi à l’École a également été recrutée à Tours pour s’occuper du développement des publics.
ES : Adelina est donc partie au milieu du développement de votre projet. Et Aupetitallot a aussitôt repris la direction.
PG : Non, nous n’avons pas vu Aupetitallot car nous étions tous en stage à son arrivée. La fin de la direction d’Adelina a été une expérience extrêmement intéressante pour nous. Dans cette période difficile, la direction nous a ouvert l’ensemble de ses archives au niveau artistique mais aussi de sa gestion.
ES : Il n’y en avait pas tant j’imagine ?
PG : Il s’agissait principalement d’archives liées à son mode administratif. Et c’était ça qui était vraiment intéressant : comment cette institution fonctionnait aussi au niveau de sa comptabilité.
ES : Il y avait donc une relation vraiment étroite au centre d’art.
PG : Oui, on faisait vraiment corps. On participait aux montages d’exposition.
ES : J’imagine que vous assistiez également aux réunions de l’équipe de médiation.
PG : Exactement. On était en lien avec eux et on travaillait sur les programmes de la Fondation de France.
ES : Donc on peut dire que la formation portait plutôt sur la pratique et l’intégration des élèves dans le centre d’art, en évitant le cadre universitaire ou théorique.
PG : Il n’y avait pas du tout de théorie parce qu’on devait avoir déjà intégré dans notre cursus la partie théorique. On avait chacun nos formations et nos expériences professionnelles.
ES : Dans l’évaluation du programme, on se rend compte que sur les dix dernières sessions à peu près, il y a la tentative d’enseigner le commissariat. Il y avait vraiment quelques mois consacrées aux théories du commissariat. Or ce n’était pas du tout le cas pour vous.
PG : Je pense que ça dépend vraiment de l’approche et de la mentalité du directeur. Adelina était quelqu’un qui faisait, qui était en relation avec les artistes. Aupetitallot est un conservateur. Et c’est vraiment ça qui faisait la différence.
ES : Quelle était votre relation à la scène artistique grenobloise et ses institutions, son école d’art ?
PG : Il y avait des relations du fait que les étudiants de l’école d’art étaient les médiateurs du centre d’art ou participaient au montage des expositions. Du coup, des liens étroits avec quelques-uns se sont tissés tout de suite.
ES : Mais vous n’avez pas exposé le travail des étudiants de l’école d’art, par exemple ? Vous n’avez pas participé aux discussions autour de leur travail ?
PG : Non, nous n’avons pas eu le temps de monter le moindre projet.
ES : Comment ça s’est passé entre les participants de votre session au niveau de l’organisation et du développement du projet ?
PG : On s’organisait entre nous, notamment pour nos voyages. C’était assez génial : on avait un budget pour aller n’importe où.
ES : C’est vous qui décidiez où aller ?
PG : Exactement. On contactait les gens à voir, on louait une voiture, et on partait.
ES : Où est-ce que vous êtes allés ?
PG : On a été en Belgique, en Italie, en Espagne, en Suisse, dans d’autres villes de France.
ES : Comment décidiez-vous des lieux à visiter ? S’agissait-il simplement de rencontrer les gens qui vous intéressaient ou y avait-il t une ligne directrice dans ces choix, disons ?
PG : C’était à la fois pour rencontrer des gens qui nous intéressaient et découvrir l’actualité artistique. À l’époque, par exemple, il y a eu l’ouverture de la Fondation Cartier. Nous étions allés visiter les grandes galeries italiennes qui étaient alors turinoises et milanaises. Et nous rencontrions beaucoup d’artistes. Quand on demandait à un centre d’art ou une galerie si on pouvait leur rendre visite, on leur demandait aussi d’organiser des rendez-vous avec des artistes.
ES : Est-ce que vous avez travaillé avec ces institutions et ces artistes ?
PG : Oui, beaucoup.
ES : Comment l’École a-t-elle influencé votre vision du métier et votre carrière, votre position ?
PG : C’est simple, ça m’a introduit dans le milieu professionnel. Ça a été pour moi un véritable accélérateur.
ES : Disons que vous aviez déjà de l’expérience mais que votre passage à l’École a validé votre entrée dans le milieu de l’art.
PG : Oui, d’autant que mon expérience était dans le petit milieu de l’art vidéo qui n’était pas du tout intégré au milieu de l’art contemporain à l’époque. Donc je n’étais ni prévenu ni connu dans le milieu de l’art contemporain.
ES : Pendant votre année à l’École, vous n’avez pas invité d’intervenants mais êtes allés rencontrer directement les professionnels qui vous intéressaient.
PG : C’est ça.
ES : Et le projet de votre session était une exposition, si j’ai bien compris ?
PG : En fait, le projet n’a pas eu lieu. Le projet initial était surtout le programme des Nouveaux Commanditaires mais nous n’avons pas pu le mener à bien.
ES : Pourquoi ?
PG : Du fait des difficultés de l’École, ou plutôt, de l’effectif du Magasin et de ses financements.
ES : Ça veut dire qu’au début il y avait une somme prévue pour vos voyages et le développement du projet. Puis au final, vous n’avez pas obtenu la partie pour la production.
PG : C’est surtout qu’il y a eu des grosses difficultés en termes administratifs. C’était l’époque où le Magasin avait de gros problèmes.
ES : J’avais l’impression que c’était le cas chaque année…
PG : Mais là c’était vraiment important.
ES : Quand même, vous avez sorti une publication.
PG : Non, ce n’est pas une publication de notre session.
ES : Et est-ce que vous avez gardé des traces : textes, images ?
PG : Disons que ça fait un moment…
ES : Vous pourriez peut-être me décrire comment vous en étiez arrivés à ce projet ? De mon expérience et de l’expérience d’autres personnes avec qui j’ai parlé, on a tous évoqué la même chose : c’est compliqué pour cinq ou six personnes d’arriver à un intérêt commun, et de s’accorder sur une vision partagée de la manière de procéder.
PG : Dans notre cas, c’était un peu particulier car on s’était vraiment focalisé sur le programme des Nouveaux Commanditaires.
ES : Qui a décidé de se focaliser sur ce programme ?
PG : Je ne me souviens plus. Nous avions rencontré François Hers et nous avions trouvé le projet hyper intéressant.
ES : Et donc vous avez choisi des artistes ?
PG : En fait, nous nous étions répartis les rôles et nous avions rencontré des personnes de la société civile pour faire émerger des demandes en art contemporain. Nous avions constitué différents groupes et différentes demandes d’art contemporain, et proposé des artistes. Nous étions donc arrivés jusqu’au stade du lien entre la commande et les artistes. Mais nous ne sommes pas passés à l’étape de la production.
ES : Selon vous, l’image et le fonctionnement du programme des Nouveaux Commanditaires sont-ils différents aujourd’hui par rapport à votre époque ?
PG : Je pense qu’il s’agit à peu près du même mode de fonctionnement. Le plus bel exemple c’est Anastassia Makridou qui faisait partie de notre session, et qui devenue partie prenante du programme des Nouveaux Commanditaires et a développé énormément de projets.
ES : Ce fut la seule ?
PG : Pour ma part, je les connais très bien et j’ai fait pas mal de choses en parallèle avec eux, mais je ne n’ai pas pu développer de projet particulier. Non, attendez : je dis une bêtise. Quand j’ai travaillé sur l’exposition La Beauté à Avignon, nous avions lancé un programme des Nouveaux Commanditaires avec un artiste suisse, Thomas Hirschhorn.
ES : Et donc c’est votre session qui a créé l’association des anciens élèves.
PG : Oui, j’en étais le premier président.
ES : Et quels en étaient les objectifs ?
PG : Créer des liens avec les différents membres et le Magasin. Il s’agissait de faire connaissance, de partager nos expériences et aider le développement de l’École et du Magasin, et à terme, de pouvoir intervenir en tant que professionnels à l’École.
ES : Et ça a marché ?
PG : Pas du tout. Auptetitallot s’y est radicalement opposé.
ES : Pourquoi ?
PGv: Je pense que c’était parce nous étions de la bande d’Adelina.
ES : Donc on peut dire qu’avec chaque changement de direction il y avait une sorte de rupture.
PG : Complète. C’est aberrant mais ça a vraiment été une rupture.
ES : Est-ce qu’on peut dire qu’à votre époque le sens politique ou l’engagement social du commissaire d’exposition était vraiment présent dans le discours de l’École et autour de l’École ?
PG : Absolument, et c’est pour ça que nous avions travaillé sur le programme des Nouveaux Commanditaires.
ES : Vous vouliez que la création soit plus démocratisée ?
PG : Et nous trouvions vraiment intéressant que la demande d’art, la demande de culture, émane autrement.
ES : L’exposition en tant que présentation d’œuvres n’intéressait pas tellement votre session.
PG : Pas tellement, non. En plus, nous avions tous déjà développé des expositions : ce n’était pas nouveau pour nous. Ce qui était nouveau c’était de travailler sur l’espace public, de travailler sur l’en-dehors, de travailler avec d’autres types de classes sociales.
ES : Si on parle d’espace public, tout de suite se posent des questions par rapport aux relations avec les autorités locales. Comment approchiez-vous ces questions ?
PG : C’est-à-dire qu’on se confronte à toutes les difficultés liées à l’organisation de monstrations dans l’espace public. Et c’est ce que j’ai fait après pendant une vingtaine d’années.
ES : Oui, parce que vous avez travaillé dans des institutions publiques.
PG : Après l’Atelier Calder, j’ai travaillé sur l’exposition La Beauté. Ensuite, j’ai participé à la création d’une première société qui s’appelait Carat Culture : nous avons fait Nuit Blanche, La Force de l’art. Puis après les Berges de la Seine, rive gauche. Des choses comme ça.
ES : Et aujourd’hui vous dirigez la Galerie à Arles, n’est-ce pas ?
PG : Exactement.