Session 24: presentation
Session | 24 (2014–2015) |
---|---|
Participants |
Betty Biedermann |
Direction |
Yves Aupetitallot |
Session website | |
Coordination |
Estelle Nabeyrat |
Tutoring |
Manuel Segade |
Educational team |
Katia Schneller |
People met |
Naïm Aït Sidhoum (architect, member of the collective Villeneuve La Série) |
Travels |
Paris (Oct. 2014) |
Related archive
Documents
Photographs
L'exposition de Noël
Project |
L'exposition de Noël |
---|---|
Presentation |
Presented every year by the Magasin-CNAC, the Christmas exhibition aims to bring together in a given time and place artists who have a link with the Rhône-Alpes region (who were born there, who studied there or who live and work there). |
Format |
Group exhibition |
Date |
30 November – 28 December 2014 |
Location |
Ancien Musée de peinture de Grenoble |
With |
Maxime Baudoin |
Related archive
Take you there Radio
Project |
Take you there Radio |
---|---|
Presentation |
Take You There Radio is a temporary radio project as exhibition streaming on the internet. Take You There Radio aims to transport participants and listeners to another place on an individual and shared level— a type of metaphysical travel that has occurred within audiences since the birth of radio as a popular media. The project takes place in collaboration with four artists-in-residence and with the participation of interlocutors from long and short distances who will premeditate and improvise radio interventions. The programming of Take You There Radio revolves around the core themes of space and time travel as experienced through altered states of consciousness, narratives of science fiction, utopian ideals, appropriation of socio-political topics by amateurs, investigation of sound in language and music, as well as radio station as a structure for predictable patterns with mysterious outcomes. Participants create radio-specific art pieces in Grenoble using resources provided by the Take You There Radio curatorial team: a sound recording studio inhabiting the physical space of the Conciergerie, a resource center and listening room free to the public, and counseling from radio professionals as well as theorists from various fields. Along with the traditional radio schedule, improvisations take place during the webstream broadcast in the form of prank phone calls, love letters, DJ sets, interviews, tutorials, and more. As part of the exhibition program, a series of workshops for local teenagers are led by the curatorial team and invited instructors. |
Format |
Public and radio programm |
Date |
30 May – 19 June 2015 |
Location |
On air and in different venues around Grenoble |
With |
Artists in residency: Workshop with: With the participation of: |
Related archive
Terrains Vagues
Project |
Terrains Vagues |
---|---|
Presentation |
In the framework of the partnership between the art school in Grenoble and the École du MAGASIN, Betty Biedermann, Martina Margini, Asli Seven and Chloe Sitzia from Session 24 have conceived an exhibition with a series of works selected from the private collection of S.B. du Veyrier. |
Format |
Exposition |
Date |
1 - 18 décember 2014 |
Location |
Gallery of ÉSAD •Grenoble |
With |
Stéphanie Cherpin |
Avec Théo Robine Langlois
Entretien avec Théo Robine Langlois
par Lore Gablier
02.08.2022
Lore Gablier : Pour commencer, pourrais-tu te présenter et me parler de ton parcours ? Comment as-tu entendu parler de l’École du Magasin et qu’est-ce qui t’a incité à postuler ?
Théo Robine Langlois : J’ai étudié à l’école d’art de Cergy et lors de ma cinquième année, avec Jessica Guez, nous avons commencé à organiser des expositions dans notre appartement, mais aussi à la piscine de Cergy où nous avions été invités par le directeur. J’avais des velléités de commissariat d’exposition car j’avais étudié à Taïwan où les artistes prenaient beaucoup en main la diffusion de leur travail – c’était devenu très important pour moi. Pour mon diplôme, j’avais aussi choisi de présenter des pièces issues de l’art conceptuel ainsi que des protocoles que je développais avec des amis : il n’y avait donc aucune pièce signée de mon nom. Quand est arrivée la question de l’après école, j’ai voulu continuer mes études et j’ai croisé le site de l’École du Magasin qui à l’époque était orange. Il y avait des expérimentations qui avaient été menées au sein de l’École qui m’intéressaient. Je me souviens avoir été marqué par certains des projets comme celui de la session 11 présenté au Planning familial 1 ou celui de la session 14 qui, lors de la Biennale de Venise, avait distribué des tracts portés sous le manteau 2 . Il me semblait qu’au travers de l’École, je pourrais rencontrer des gens et construire quelque chose de collectif. C’était le pari. Plusieurs personnes m’avaient déconseillé de postuler car elles considéraient que c’était une structure qui n’avait plus une bonne réputation extérieure, mais ce qui m’intéressait, c’était plus ce qui se passait à l’intérieur.
LG : Comment s’est passée ton arrivée à Grenoble ?
TRL : J’avais entendu parler de cette session mythique où tou.te.s les étudiant.e.s habitaient ensemble. Du coup, je m’étais dit qu’on pourrait peut-être prendre une maison et j’ai donc contacté toutes les participantes pour leur proposer l’idée. Les réactions ont été assez diverses et au final, c’est mieux qu’on ne l’ait pas fait. On s’est ensuite rencontré.e.s et c’est toi qui nous as accueilli.e.s. C’était un sorte de pré-saison pendant laquelle tu nous as introduit.e.s à diverses organisations locales, ce qui a été très précieux pour nous par la suite. On a par exemple rencontré le 102 qui est un lieu autogéré, le collectif Metamkine et les ateliers Utopia. L’arrivée à Grenoble a donc été pour moi l’occasion de rencontrer des gens avec qui je suis resté en contact comme Camille Laurelli et Laura Kuusk. On a aussi rencontré Lili Reynaud-Dewar.
LG : Parle-moi de ta session.
TRL : Au début, nous étions sept : il y avait Asli Seven qui venait de Turquie et avait une pratique de commissariat déjà engagée ; Costanza Ciabatti venait d’Italie où elle avait étudié l’histoire de l’art et nous a quitté par la suite car elle a obtenu un poste en galerie à Rome; Martina Margini venait aussi d’Italie et avait fait des études en architecture ; Chloé Sitzia et Betty Biedermann sortaient comme moi d’écoles d’art en France ; et Sophie T. Lvoff venait des États-Unis et avait déjà une activité d’artiste et d’enseignante. Pour se rencontrer, on a organisé des dîners, on est allé voir des concerts, des expositions. On habitait tou.te.s à Grenoble et on avait donc une sociabilité très liée à la ville de Grenoble.
LG : Comment s’organisait votre travail ? Est-ce que vous aviez un sujet de recherche prédéfini, un programme de séminaires ?
TRL : Il y avait un séminaire autour de la figure de Craig Owens qui était organisé par Katia Schneller, Simone Frangi et Dean Inkster, enseignant.e.s des écoles d’art de Grenoble et Valence, et qu’on suivait avec d’autres étudiant.e.s des deux écoles. Le séminaire s’est déroulé tout au long de l’année et nous a permis de rencontrer Andrea Fraser via zoom. Il y avait aussi des invitations faites par Estelle Nabeyrat [coordinatrice de l’École à l’époque] à des artistes, des curateurs et autres. Elle avait par exemple invité Isabelle Cornaro ou Nils Norman et on les a rencontré avec des étudiant.e.s de la fac d’histoire de l’art. La rencontre qui m’a le plus marqué était celle avec Jean-Pierre Beauviala, qui nous a expliqué comment il avait fabriqué des caméras et comment il continuait. Dans les premiers temps, on était aussi engagé sur deux exercices pratiques que l’on pouvait choisir. L’un consistait à travailler sur la collection d’une collectionneuse de Grenoble qui s’appelait Sylvie du Veyrier. L’autre consistait à organiser l’Exposition de Noël qui était dédié aux artistes de la région Rhône-Alpes. Costanza, Sophie et moi avons travaillé sur l’Exposition de Noël et le reste du groupe a travaillé avec Sylvie pour réaliser une exposition qui a été montrée à la galerie de l’école d’art de Grenoble. De notre côté, il s’agissait de recruter un jury, sélectionner les œuvres, monter l’exposition et trouver des solutions de production un peu agiles.
LG : C’est vous qui aviez choisi les membres du jury ?
TRL : Oui.
LG : Qui y avait-il ?
TRL : Léo Wadimoff qui s’occupait des Marbriers à Genève. Il y avait Damien Airault qui avait participé à la onzième session de l’École, l’artiste Émilie Pitoiset, un collectionneur de Grenoble dont j’ai oublié le nom, et Vincent Verlé qui dirigeait le Centre d’Art Bastille à Grenoble. Pour des questions de langue, j’avais été le seul de notre groupe à participer au jury et ça a posé beaucoup de problèmes par la suite, car ça excluait Sophie et Costanza de de certains processus de travail. Si c’était à refaire, on ferait autrement. Le résultat de l’exposition était un mélange de pratiques très portées sur la matière, avec des artistes complètement en dehors du champ – ça nous avait valu quelques remarques des écoles d’arts du coin.
LG : Comment qualifierais-tu cette mise au travail par l’exercice pratique ?
TRL : Je pense que c’était une bonne chose, mais c’était aussi très distant du processus de réflexion qu’on avait enclenché avec Manuel Segade, notre tuteur. Il était venu quelques jours en début d’année pendant lesquels il nous avait introduit sa pratique, notamment ses recherches sur le voguing et la représentation. C’était très situé théoriquement. Puis il est revenu pour discuter de notre propre cheminement. Il y avait quelque chose de presque schizophrène : on s’est trouvé projeté dans un exercice pratique très ancré dans le territoire et qui impliquait des artistes qui produisaient des formes assez lointaines des sujets dont on parlait avec Manuel ou à travers du séminaire sur Craig Owens. Pour moi, il y a aussi quelque chose qui a été très important de façon plus diffuse : c’était les archives et la bibliothèque de l’École qui se trouvaient dans notre salle de travail, et les rencontres auxquelles on assistait à Lyon avec les artistes du post-diplôme de l’école d’art. Je me rappelle parexemple d’une intervention de Gayatri Spivak qui m’a beaucoup marqué. Ensuite, dans la seconde partie de l’année, on a pris part à un workshop organisé par le département design graphique de l’école d’art de Valence qui, je m’en suis rendu compte, propose un master de graphisme unique en son genre en France et dont la pédagogie est très centrée sur le collectif. Pour l’occasion, on a travaillé en trinômes formés d’un.e participant.e de l’École et de deux étudiant.e.s en design graphique. Dans mon groupe, il y avait Raoul Bonnaffé avec qui je continue d’échanger.
LG : En quoi consistait ce workshop ?
TRL : C’est une bonne question… C’était un workshop proposé par Christophe Bruno et Christelle Desbordes qui étaient issu.e.s du Net Art et qui développaient des bases de données. Il s’agissait de croiser ces questions avec celles du commissariat d’exposition.
LG : Ce workshop a-t-il été déterminant dans votre propre recherche en tant que collectif ou s’agissait-il d’une expérience qui venait s’ajouter à d’autres ?
TRL : C’était une expérience parmi d’autres, mais je pense que c’était aussi intéressant de consacrer du temps à d’autres projets que celui, plus ambitieux, que nous développions pour la fin de l’année et qui nécessitait six ou sept mois de préparation. Pendant cette semaine de travail, il s’agissait de produire un petit imprimé ou un petit logiciel. Avec mon groupe, nous avons travaillé sur un projet à partir de la collection du Musée des Beaux-Arts de Valence et développé un site web qui permettait de se balader de dessin d’œuvres en dessin d’œuvres (réalisé par Raoul), en adaptant un texte très oulipien de Georges Perec : « Comment demander une augmentation à son patron ?», qui se lisait par choix multiples. Pour moi, ça se rapprochait davantage de la manière dont j’avais l’habitude de travailler.
LG : Et comment en êtes-vous en arrivé.e.s à votre projet collectif ?
TRL : Dès le début de l’année il était question de travailler ensemble, mais c’est surtout dans la seconde partie du programme qu’on s’y est vraiment attelé. Je pense que c’est Sophie qui a suggéré l’idée de radio. Nous souhaitions développer une programmation qui soulève des questions différentes. En fait, toute la complexité de l’École du Magasin c’est qu’elle associait sur un temps relativement court des individualités qui avaient des recherches préexistantes. Dans notre cas, nous n’avions aussi pas le même âge : Asli et Sophie étaient beaucoup plus avancées que nous qui sortions tout juste d’écoles. Du coup, l’idée de radio constituait un format dont on pouvait tou.te.s s’emparer facilement et elle nous permettait aussi de mettre en synergie différentes scènes : c’était important pour nous d’associer des acteur.trice.s de la scène locale que nous avions rencontrées à des artistes que nous invitions à Grenoble non seulement au Magasin mais aussi dans des lieux avec qui on travaillait et traînait. Je pense par exemple à cette soirée de lecture qu’on a organisée au 102 avec Antoine Boute et Itziar Okariz. C’était intéressant de travailler avec un lieu comme le 102 car cela nous demandait aussi de nous adapter à leur économie. On avait cuisiné et préparé une boisson énergisante à base d’orties afin de générer des revenus et payer les artistes dans ce cadre.
LG : Quelle était l’économie du projet, d’ailleurs ? Vous aviez un budget qui vous avez été communiqué en amont ?
TRL : Oui, c’était un budget de 10 000 à 15 000 euros environ. Par contre, ce qui est resté très flou pendant longtemps, c’était la question des espaces. Au départ, on voulait construire une structure dans La Rue du Magasin mais ça nous a été refusé. L’auditorium n’était pas non plus disponible. Du coup, on nous a proposé l’espace de la Conciergerie, situé en dehors du Magasin, à l’entrée du site Bouchayer-Viallet. C’était un espace parfait pour construire un studio, divisé en deux petites pièces. On avait les clés donc on pouvait y accéder quand on voulait ce qui était pratique pour travailler et mettre en place notre programme de 72 heures.
LG : Parle-moi de la dynamique de votre groupe. Comment décrirais-tu votre processus de travail ?
TRL : C’était très intense et il y a eu beaucoup de débats assez vifs. Je pense que c’était aussi lié à nos personnalités et nos choix de vie. Il y avait des visions très différentes de l’art et de sa place dans la ville. Je pense qu’aujourd’hui encore, si on devait s’asseoir autour d’une table, on ne serait toujours pas d’accord. C’est un peu compliqué de parler pour les autres, mais pour moi, c’était important qu’on puisse travailler ensemble et c’était l’enjeu d’arriver à trouver un cadre où tou.te.s puissent s’exprimer, fabriquer un haut-parleur.
LG : Comment décrirais-tu les grandes lignes de ce projet de radio ? Quelle a été la programmation que vous avez présentée pendant ces 72 heures ?
TRL : Nous sommes parti.e.s de questions assez larges liées au signal, au rôle de la radio dans l’histoire des formes – dans l’art mais pas seulement. Il y avait par exemple cette pièce radiophonique de Wells sur les extraterrestres aux États-Unis, où des auditeurs se suicidaient car ils pensaient que les aliens arrivaient réellement. On avait contacté des collectifs comme *Duuu dont on avait invité l’un des membres, Simon Ripoll-Hurier, qui travaillait sur la question des amateurs radio. On était allé enregistré toute une nuit dans la montagne avec lui. On avait également invité Julien Vadet qui avait proposé un workshop pour le jeune public autour de la fabrication d’antennes radio. La radio comme outil de transmission et de ce que ça pouvait transmettre était une question particulièrement importante pour Sophie qui a une vaste culture musicale et qui avait commandé pas mal de playlists. Asli Seven avait particulièrement travaillé avec Maxime Guitton, qui programmait de la musique expérimentale à Paris à l’époque. La question de la performance, de la voix, était aussi très importante, d’où l’invitation à Itziar Okariz et Antoine Boute. On a aussi travaillé avec Anouchka Oler Nussbaum et Pierre Michelon, qui étaient deux des artistes du post-diplôme de Lyon avec qui nous avions tissé des liens tout au long de l’année. Pierre nous était rentré dedans sur la question de la rémunération car on voulait payer uniquement les nouvelles productions et les performances, et pas les rediffusions : c’était bien de pouvoir avoir ce genre de discussion. On avait aussi demandé aux artistes qui avaient initié Villeneuve la série, Naïm Aït-Sidhoum et Renaud Auray, de réaliser le studio. Naïm est architecte cinéaste et Renaud était aussi l’un des monteurs des expositions du Magasin, du coup c’était naturel de travailler avec eux. On avait également travaillé avec des artistes qui n’évoluaient pas forcément dans le circuit de l’art contemporain, mais plutôt dans celui du spectacle vivant, comme Anne-Laure Pigache. Les quelques noms que j’évoque sont loin d’être exhaustifs : il y a eu d’autres interviews, des concerts, une émission sur le rap grenoblois, des pièces d’artistes. Il s’agissait d’un programme de 72 heures non-stop !
LG : D’après ce que j’ai compris, vous avez choisi de ne pas enregistrer et archiver le programme radio. La Session 9, qui avait aussi proposé un projet de radio, avait fait un choix similaire, et je me demandais ce qui pour vous l’a motivé ?
TRL : J’étais l’un des tenants radicaux de la décision de ne pas enregistrer le programme. Dans la radio, la question du live et de l’improvisation est importante. C’est un format qui permet aussi de stimuler des rencontres et je pense que c’est ce que nous avons réussi à faire. Certaines émissions existent toujours car on avait aussi enregistré du matériel en amont pour pouvoir tenir 72 heures. J’avais par exemple réalisé des entretiens avec des artistes qui avaient initié des lieux d’art, comme Christophe Cuzin qui avait un lieu à Paris dans les années 1970-80 ou Léo Wadimoff des Marbriers. Il s’agissait de réfléchir au rôle des artists-run-space dans l’écosystème de l’art. Mais les concerts ou performances que nous avons organisés, par exemple avec Lili Reynaud-Dewar, Anouchka Oler Nussbaum ou Mürer, n’ont pas été enregistrés. Je me souviens d’une nuit, tard, où des jeunes faisaient du rodéo en scooter dans le quartier et on est allé les enregistrer avec l’artiste Stephen Loye : il y avait des choses comme ça qui arrivaient et je ne suis pas certain que cela aurait fait sens de les enregistrer.
LG : Il me semble que cette question des artistes qui se saisissent de leurs outils, du do-it-yourself, de l’alternatif, revient beaucoup dans votre porjet.
TRL : Je pense que c’était très lié au contexte : au fait de se trouver dans une formation professionnalisante. J’ai un peu de mal avec ce terme de professionnalisation. Ce n’est pas une mauvaise chose dans l’absolu, mais dans les faits, il y a des questions de sociabilités qui sont beaucoup plus importantes pour travailler par la suite et qui sont souvent ignorées par ces programmes de professionnalisation. Il était donc question de former des professionnel.le.s de l’art mais dans une institution qui était sur le point de s’effondrer : il y avait des problèmes d’hydrométrie dans le bâtiment, des difficultés budgétaires. J’avais l’impression de travailler dans un bateau qui prenait l’eau. Pour nous, il y avait donc des questions importantes liées à l’organisation autonome, en dehors de ces institutions qui s’effondraient, et la volonté de produire des formes qui ne soient pas forcément dédiées à l’exposition, et de nous adresser à des publics qui ne sont pas forcément ceux de l’art contemporain.
LG : C’est intéressant que tu soulèves cette notion de « professionnalisation ». Quand l’École du Magasin a ouvert ses portes à la fin des années 1980, il y avait la nécessité de former de jeunes professionnel.le.s qui pourraient prendre la tête d’institutions qui fleurissaient partout en France, dans le contexte de décentralisation de la culture. La plupart des participant.e.s des premières sessions avec qui nous nous sommes entretenus insistent sur cet aspect de sociabilité : l’École, c’était un lieu et une plateforme de rencontre. En fait, c’était ça la professionnalisation : c’était faire, participer aux montages, mais surtout rencontrer des artistes, commissaires, directeur.trice.s d’institutions, galeristes. Du coup, ma question est peut-être liée à ce changement de compréhension de la professionnalisation : À ton époque, donc, comment sont perçues les pratiques curatoriales et comment sont-elles véhiculées par l’École ?
TRL : Je me rappelle que lorsqu’ Yves Aupetitallot nous a fait la visite de l’exposition qu’il présentait au Magasin et qui portait sur le lien entre la scène artistique et musicale, nous avions tou.te.s été un peu critiques : c‘était comme s’il lisait des fiches Wikipédia. Je pense que ça a eu l’effet de désacraliser la figure du curateur. Je sortais aussi d’une école d’art et mon modèle de commissaire d’exposition c’était Philippe Thomas, et non Hans Ulrich Obrist ou Harald Szeemann : des artistes, donc, qui avaient des façons différentes de faire des expositions. J’ai l’impression qu’à l’École, il s’agissait de comprendre comment ça se passait et non de devenir commissaire. J’en avais discuté des années plus tard avec Damien Airault et on constatait, comme tu viens de le dire, qu’au début de l’École il y avait en effet des places à pourvoir. Ensuite, il y a une génération peut-être davantage portée sur le commissariat indépendant. Et puis, il y a la question des artistes, comme elle s’est posée dans ma session. Pour Sophie, Chloé et moi, par exemple, la pratique curatoriale n’était pas notre activité principale, même si Sophie vient d’organiser une exposition autour de la revue féministe New-Yorkaise et des photographies d’Anne Turyn, Top Stories, à Giselle Books à Marseille – elle le fait en relation avec sa pratique de photographe. Je pense que pour des raisons économiques, il y a eu un glissement de la pratique institutionnelle vers des pratiques indépendantes voire épisodiques, qui se tissent avec d’autres pratiques artistiques.
LG : Pour finir, qu’est-ce que tu gardes de l’École ?
TRL : Je pense que ce que je garde est lié à la ville de Grenoble où j’ai continué à aller et où j’ai tissé des relations pérennes. J’ai adoré Grenoble et sa culture autonome et je pense que l’École en était l’une des composantes. L’École a été une bonne expérience même s’il y avait aussi beaucoup de problèmes. Le travail en groupe m’a toujours intéressé et c’est quelque chose que j’ai particulièrement apprécié et que je poursuis au sein d’After 8 Books3 dont je fais partie. J’en retire aussi l’expérience pratique d’avoir réalisé une forme plus ambitieuse que celles que j’avais réalisées auparavant. Depuis, je me suis concentré sur ma pratique d’écriture et je ne fais plus trop d’expositions, alors ce qui reste c’est sûrement plus les lectures, l’apport théorique, et les rencontres. Aussi, depuis l’École, je continue à travailler avec *Duuu, j’y suis correspondant.
- Le projet XEROX présenté par la Session 11 au Planning Familial de Grenoble portait sur les relations de la sexualité à l’espace. ↩
- Le projet de la Session 14, intitulé Commons Service Group, a notamment pris la forme d’une intervention dans le cadre de la Biennale de Venise, où les trois participants de la Session distribuait des flyers d’information sur accords d lesu GATS et les licences créatives. ↩
- After 8 Books est une librairie et une maison d’édition indépendantes basées à Paris. Voir : https://www.after8books.com. ↩