Session 19: presentation
Session | 19 (2009–2010) |
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Participants |
Alissa Firth-Eagland |
Direction |
Yves Aupetitallot |
Session website | |
Coordination |
Lore Gablier |
Tutoring |
Fareed Armaly |
Educational team |
Catherine Quéloz |
People met |
Boris Achour (artist) |
Travels |
Paris (21–24 oct. 2009) |
Comment ne pas faire d'exposition
Project |
Comment ne pas faire d'exposition |
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Presentation |
The curatorial project by session 19, entitled How not make an exhibition, is an interdisciplinary program of round tables, workshops, lectures, performances, publications and installations. Taking as a starting point the context, a school, within which it has been developed, How not make an exhibition questions the construction of aquired and assimilated knowledges. The “tactics of fiction,” a notion that articulates the program, offer alternatives to the established systems of learning and question their coercitive dimension. Borrowed to the French theorician Michel de Certeau, the word tactic refers to a way of infiltrating the rifts of dominant systems to create insertitial spaces. The notion of fiction not only refers to the creation of an imaginary world, but offers a narrative framework allowing an intelligible construction of reality. |
Format |
Public porgram |
Date |
29–20 May 2010 |
Location |
Magasin-CNAC |
With |
Christophe André |
Interview with Sophie Lapalu
Entretien avec Sophie Lapalu
par Asli Seven
02.06.1018
Asli Seven : Pour commencer, peux-tu me parler de ton parcours et de ce qui t’a amenée à l’École du Magasin. En quoi ce choix t’a paru intéressant à l’époque ?
Sophie Lapalu : J’ai étudié pendant cinq ans à l’École du Louvre et j’avais aussi fait plusieurs stages, notamment au FRAC Aquitaine, où l’on m’avait parlé de l’École. Il y avait aussi une étudiante qui était un an au-dessus de moi, Virginie Bobin, qui l’avait faite. François Aubart était aussi un ami d’ami. Donc j’en ai beaucoup entendu parler de bouche à oreille.
J’avais fait un Master recherche et il n’y avait pas du tout de pratique dans mes études ; je savais que ça me manquait. J’avais besoin d’une année de formation pratique, après avoir passé autant de temps dans les bibliothèques. Je n’étais pas très en contact avec les artistes. Je ne connaissais que peu le monde professionnel. Et je bossais dans une galerie pourrie. Je sentais bien qu’il fallait que je trouve un moyen de mettre un pied dans l’art contemporain autrement que comme je m’y étais prise jusque-là.
C’est vrai que j’avais déjà fait des petites expositions, des petites tentatives, et je savais que j’avais un vrai intérêt pour le format de l’exposition et toutes les questions que ça soulevait.
AS : Le commissariat t’intéressait donc déjà.
SL : Tout à fait, tout en ne sachant pas vraiment ce que c’était !
AS : Est-ce que l’expérience de l’École a été satisfaisante dans ce sens-là ? Comment est-ce qu’elle a influencé ton parcours par la suite ?
SL : C’était une année assez compliquée car c’était une année de transition. Lore Gablier venait juste d’arriver à la coordination et avait été prévenue peu de temps avant. Le travail avec Yves Aupetitallot était très compliqué et je crois qu’il avait mis beaucoup de bâtons dans les roues de la précédente coordinatrice, Alice Vergara-Bastiand. Lore arrivait un peu en terrain miné. Elle était elle-même une ancienne étudiante de l’École et n’avait pas une longue expérience de coordination. Elle débarquait et ce n’était pas très simple : ce n’étaient pas des conditions de travail optimales. Il y a aussi peu de budget. Et moi j’y allais aussi pour le côté international, alors qu’en fait on est seulement allées en Suisse. Ce n’était pas une expérience géniale. Mais ce dont j’étais super contente, c’était de pouvoir rencontrer des gens du monde entier car notre session était composée de filles qui venaient de Turquie, du Canada, de Lettonie, d’Italie, d’Espagne. Chacune arrivait avec ses champs de recherche, ses intérêts. C’était très intéressant. Par contre – et je crois que ce fût le cas pour beaucoup de sessions et que c’est peut-être pour ça qu’il y avait un problème avec le format de cette école –, on ne s’est pas vraiment entendues. Au début, ça se passait bien, mais à partir du mois de janvier, ça a complètement périclité. On n’a jamais réussi à travailler ensemble. Il y en avait certaines qui n’ont jamais voulu partager ce sur quoi portait leur recherche. Il y en a une qui est partie en cours de route. Et donc au final, on a présenté How not to Make an Exhibition, qui était une succession de conférences et réunissait en fait des propositions individuelles sous un même chapeau – sans beaucoup de sens. Je crois que l’École m’a en fait beaucoup plus appris sur l’esprit de concurrence que peut parfois développer un certain milieu de l’art contemporain et cette vision du commissaire d’exposition « star » (complètement obsolète aujourd’hui). J’arrivais assez naïve, même si je m’en doutais un peu. Mais comme on était là pour travailler en commun, je pensais que toutes étaient d’accord là-dessus. Et en fait, j’ai découvert que ce n’était pas du tout le but de certaines et qu’il y avait un désir de tirer la couverture à soi.
AS : Il est vrai que ce qui revient souvent, c’est que quand l’aspect collectif fonctionne, c’est ça qui fait le cœur de l’expérience et c’est ce que retiennent le plus les gens.
SL : Du coup, je me demande depuis quand ça ne pas marchait plus. Je suis arrivée un peu à la fin de cette histoire et on sentait qu’il y avait un essoufflement. On sentait qu’une renouvellement était nécessaire et ce n’était pas quelque chose que Lore, qui arrivait tout juste, pouvait insuffler.
AS : Est-ce que vous aviez un tuteur ?
SL : Oui, c’était un artiste berlinois : Fareed Armaly. Il n’est venu que deux fois dans l’année et on sentait que lui-même était un peu dépassé par la situation. C’était peut-être une conjonction qui a fait que ça n’a pas vraiment marché cette année-là. Du coup, j’ai vite compris qu’il valait mieux tirer parti du fait d’être à l’École du Magasin et j’ai contacté beaucoup de gens qui, quand j’étais en Master, ne me répondaient pas. Et là, ils répondaient à mes demandes d’interviews, de recherche. Ça m’a été utile d’avoir le label Magasin. J’ai aussi passé beaucoup de temps à l’école d’art de Grenoble, où il y avait beaucoup de conférences et d’artistes en devenir. Ce sont des gens qui sont restés des ami.e.s et avec qui j’ai travaillé par la suite. Je pense que chacune d’entre nous a retiré de cette année-là des choses très différentes car c’était à chacune de faire son chemin. Une autre chose à en retirer aussi c’était qu’après l’École, j’ai été prise au seul boulot auquel j’ai postulé. Je pense que c’était en partie dû au fait que je sortais de l’École du Magasin. Je suis donc devenue chargée de La Vitrine, l’espace d’exposition de l’école d’art de Cergy qui était à Paris.
AS : Pour revenir sur l’échec du collectif, comment avez-vous géré le fait de devoir produire une exposition ensemble ? Tu m’as dit qu’il s’agissait davantage d’assembler des propositions individuelles mais vous avez quand même dû coordonner ensemble et choisir un titre.
SL : Oui, il y a eu un moment qui était assez beau. Peut-être que je me jette des fleurs mais j’avais invité François Deck qui se dite artiste-consultant et qui était professeur à l’école d’art de Grenoble. Ce qu’il propose c’est d’intervenir dans des entreprises avec des protocoles de discussion et de travail. Et c’était ce dont relevait ma proposition : inviter des artistes au sein du travail du commissaire pour le déplacer lui-même et apprendre de la pratique artistique. Son protocole consistait à écrire des questions sur des cartes qu’on distribuait à chacune à l’aveugle. Pour rentrer dans la discussion, il fallait défendre la question sur la carte qu’on avait piochée. François Deck était là et c’était un moment assez incroyable : du fait qu’il y ait quelqu’un d’extérieur, qu’il était hors de question de s’engueuler devant lui, on s’est toutes prises au jeu. Le protocole a permis de s’approprier les questions des unes et des autres, et ça a vraiment débloqué des choses et nous a permis de trouver le titre. C’est finalement l’intervention d’un tiers qui nous a permis de travailler ensemble. Sinon, c’était extrêmement conflictuel et compliqué. Par exemple, et c’est une anecdote qui n’est peut-être pas très intéressante, deux d’entre nous avaient invité des artistes qui venaient des États-Unis. Comme ça coûtait très cher, l’idée c’était que la veille on fasse un workshop ensemble qui profite à tout le monde. Or, elles n’en ont pas informé les artistes et le workshop n’a pas eu lieu.
AS : C’était à ce degré-là… Ça m’amène à te poser la question : Est-ce qu’il y avait un vraiment un encadrement pédagogique de la part de l’institution ?
SL : C’était vraiment Lore qui tenait ce cadre comme elle pouvait. Et le centre d’art était totalement absent. En plus elle n’était pas à temps plein, elle faisait les allers-retours Paris-Grenoble et venait trois jours par semaine. Je pense que c’était une situation compliquée et les participantes lui renvoyaient le fait qu’elle n’avait pas d’expérience et qu’elle n’était pas légitime à proposer ou imposer des choses. Elle était plus jeune que certaines participantes. Du coup, ça rendait son travail impossible.
AS : Est-ce que tu te souviens du recrutement ? Qui était dans le juryv?
SL : Il y avait Lore car le jury s’est tenu assez tard, en septembre. Il y avait aussi Thomas Kocek, le directeur de l’école d’art de Grenoble, Yves Auptetitallot, et Catherine Quéloz.
AS : Est-ce que Catherine et Liliane [Schneiter] ont ensuite été impliquées au cours de l’année ?
SL : Elles sont venues une fois et ont fait un séminaire qui était super intéressant, mais ça s’est arrêté là.
AS : Est-ce qu’il y avait quand même des intervenant.e.s programmé.e.s ?
SL : Oui, mais je n’ai pas le souvenir que ça ait été très soutenu. Il y en a eu quelques-un.e.s, on en avait aussi invité certain.e.s. Et ça c’était très bien d’ailleurs.
AS : Selon toi, quelle était l’image du commissaire d’exposition qui était véhiculée par l’École à l’époque ?
SL : On se posait toutes beaucoup la question de savoir ce qu’était un commissaire d’exposition. On n’était pas toutes d’accord. Je me rappelle qu’une pensait très fermement que si le commissaire était artiste, il ne pouvait pas s’exposer lui-même, que c’était inadmissible. Et je pensais qu’au contraire, il n’y avait pas de règles. Chacune, à travers ses lectures et les discussions qu’on avait, essayait de porter une idée de commissaire. En tout cas, dans ma session, il ne s’agissait pas d’un commissaire collectif !
AS : Il me semble qu’il y a eu des périodes où à l’École l’accent était mis sur la théorie, et d’autres, sur la pratique – avec beaucoup de stages comme dans les premières années. À l’époque, les étudiant.e.s étaient très investi.e.s dans la vie du centre d’art, ce que j’imagine n’était pas le cas pour vous.
SL : Absolument. On nous disait même qu’a priori il n’y avait pas d’espace dans le centre d’art pour présenter notre projet. On a bataillé. Aussi, il fallait qu’on soit là tout le temps donc il était hors de question de faire des stages.
AS : Pourquoi est-ce que vous deviez être là en permanence ?
SL : Pour travailler ensemble. Du coup, je crois qu’on peut dire qu’à ce moment-là, c’était plus théorique. Effectivement, on a beaucoup lu et discuté de la pratique et des manières de travailler d’autres commissaires. Et on a fait un seul projet en fin d’année.
AS : Finalement, votre projet a pu avoir lieu dans le centre d’art, non ?
SL : Oui, il a eu lieu dans l’auditorium et dans une salle à côté car c’était principalement des conférences. Le jour où on a inauguré notre projet c’était aussi le vernissage de l’exposition du Magasin.
AS : Tu vivais à Grenoble cette année-làv?
SL : Oui, tout le monde s’est installé à Grenoble, il nous avait été signalé qu’il fallait être présentes à temps plein.
AS : Tu te souviens comment ça se passait avec la scène artistique grenobloise ? Est-ce qu’il y avait des liens où une incitation dans ce sens-là ?
SL : Non, il n’y en avait aucun. Lore avait essayé de mettre en place un partenariat avec l’école d’art mais je ne sais pas si ça a continué après. Il s’agissait du coup plutôt d’initiatives individuelles. On allait dans les lieux d’art et par la force des choses, on a rencontré des gens et certaines ont travaillé avec des espaces comme le Centre d’art Bastille, le 102 ou l’école d’art.
AS : Est-ce que tu as gardé des contacts avec certaines des participantes de ta session ?
SL : Oui, je suis restée très amie avec une. D’autres, je les croise avec plaisir. Mais on n’a jamais plus travaillé ensemble.
(…)
AS : Une des questions initiales qu’on se posait avec le projet de recherche autour de l’École c’était de savoir s’il y avait un modèle pédagogique qu’elle avait créé ou renforcé en lien avec le commissariat. Et je crois que c’est justement ça : l’obligation de collaboration – qui est quelque chose d’inévitable dans le commissariat d’exposition où on est en permanence dans des formes de collaboration.
SL : Je fais peut-être des généralités, mais je pense que même si on est tout le temps dans des collaboration, il y a des formes d’individualisme et l’apparition de cette figure du commissaire-star. C’est quelque chose qui a beaucoup influencé certaines des participantes de ma session. Malheureusement, c’est un peu inhérent au système de l’art qui a du mal à reconnaître les initiatives collectives, au profit d’une individualité. Or, justement, je pensais qu’aller à l’École du Magasin c’était pour des gens qui avaient envie de travailler autrement.
AS : Donc tu avais cette image avant d’y entrer ?
SLv: Oui, bien sûr. Au début, j’étais vraiment contente. Je me souviens qu’ Isin [Onol] travaillait sur le post-colonialisme et il y a dix ans, c’étaient des choses que je découvrais. Une autre travaillait sur les questions de genre et c’était également quelque chose sur laquelle je ne m’étais jamais penchée d’un point de vue théorique. J’ai découvert plein de choses à travers les autres. Mais quand il a fallu travailler ensemble, c’est devenu compliqué. Mais c’est vrai que c’est super que l’École soit internationale et qu’il y ait des gens de différentes générations – j’étais la plus jeune, j’avais 24 ans, et la plus âgée en avait 43.
AS : Tu as raison de dire que cet individualisme existe et je pense qu’il y a eu une période où ça n’existait pas. C’est ce qui me donne tant de plaisir quand j’écoute les témoignages des premières sessions. Le paysage était très différent et l’École était clairement là pour former des gens pour des postes qui existaient.
SL : Tandis que pour nous, l’idée c’était plutôt de devenir indépendant. Il n’y avait pas d’institutions qui allaient nous cueillir à l’arrivée. Ce fait d’être indépendant crée de la concurrence. Ça ne m’intéressait pas de la penser mais elle était là, et c’était particulièrement violent.
AS : Est-ce qu’il y avait des artistes parmi vous ?
SL : Non. Il y en a qui avaient des formations artistiques qui avaient ensuite continué dans des institutions ou des revues.
AS : Dans ma session, il y avait beaucoup d’artistes. Je trouvais que c’était un choix intéressant de la part de l’École de recruter à la fois des artistes et des commissaires, et ainsi faire en sorte que les choses se mélangent un peu.
SL : D’autant plus que ça permet de rompre avec les idées reçues sur la place du commissaire. Je pense que c’est indispensable et que les commissaires ont autant à apprendre des artistes que des théoricien.ne.s (…) Après, c’est vrai que je me demande aussi dans quelle mesure un projet comme l’École peut durer dans le temps. Est-ce qu’il ne fallait pas le renouveler totalement pour qu’il puisse perdurer ? En fait, c’est ce qui est arrivé de tout temps, comme tu le disais.
AS : Oui, avec ces moments de transition. Mais ce n’est pas que l’École en elle-même qui change mais aussi le paysage autour, et les nécessités. Et la façon dont les un.e.s et les autres répondent à ces nécessités change aussi. Liliane et Catherine ont eu un poids théorique important. Sous leur tutorat, certaines sessions ont fait des projets qui résonnent encore aujourd’hui. Mais c’était un moment de transition dans l’histoire plus globale du commissariat d’exposition. Est-ce qu’aujourd’hui c’est encore nécessaire de former des gens pour devenir des commissaires précaires ? Je ne sais pas…
SL : Surtout à Grenoble : quand il n’y a plus de moyens, c’était compliqué. Mais c’est intéressant car il y a quand même la question des pédagogies alternatives qui se pose énormément. Et l’École était un exemple génial d’une école dans un centre d’art. Ça devrait exister davantage.
AS : Tout à fait. Et c’est pour ça qu’il serait intéressant de comprendre ce que Béatrice Josse en fait aussi. Je comprends la logique de cette action : peut-être que le fait d’avoir un outil pédagogique dans une institution devrait permettre d’élargir les débats par-delà le curatorial ?
SL : Oui, complètement. Il me semble que les commissaires s’intéressent autant à la sociologie, à l’anthropologie ou à la psychanalyse et c’est fascinant. Du coup, c’est intéressant de ne plus se poser la question de ce qu’est un commissaire au sein d’une école, mais de la place de l’art au sein de la société. C’est vrai qu’à la fin de mon année à l’École, je suis devenue un peu allergique aux livres sur le commissariat et à tous les débats sur la figure du commissaire d’exposition. Je me disais : « Arrêtons, il faut parler d’art ! »