Session 16: presentation
Session | 16 (2006–2007) |
---|---|
Participants |
François Aubart |
Direction |
Yves Aupetitallot |
Session website | |
Coordination |
Alice Vergara-Bastiand |
Tutoring |
Florence Derieux |
Educational team |
Liliane Schneiter |
People met |
Tobia Bezzola |
Travels |
AICA (15-20.10.2006) |
Everybody Wants to Rule the World
Project |
Everybody Wants to Rule the World |
---|---|
Presentation |
On the occasion of the professional preview of the 9th Lyon Biennial on 17–18 September 2007, seven participants of Session 16 organized a game within the game at the Institut d’Art Contemporaine in Villeurbanne. Project flow
Ten years prior, in 1997, Harald Szeemann was invited to curate the 4th Lyon Biennial under the theme of L’Autre [The Other]. Today, the 9th Lyon Biennial is guided by Stéphanie Moisdon and Hans Ulrich Obrist who invited 50 curators to write a history of the part decade. The liquid form of this Biennial allows the organizers of this game within the game to have an overview on the multiplicity of curatorial practices. |
Format |
Video interviews |
Date |
17–18 September 2007 |
Location |
Interviews recorded at the Institut d’Art Contemporain de Villeurbanne |
With |
John Armleder |
Related archive
Harald Szeemann, Individual Methodology
Project |
Harald Szeemann, Individual Methodology |
---|---|
Presentation |
The book Harald Szeemann. Individual Methodology is the result of a research done in the archive of Harald Szeemann. Thanks to an exceptional opportunity, kindly offered by the Szeemann family, the team was able to access the archive at Fabbrica Rosa, the old factory in Maggia, canton of Tessin, Switzerland. The exhibition maker moved his archive to Fabbrica Rosa since 1988 and this research was based on the invaluable information found there. The eights participants of Session 16 chose to treat methodology of Harald Szeemann not as historians but as curators wishing to connect his past to the present. The editorial approach aims to enlight Szeemann’s self-organization and its developing all along his career. This self-organization, contradictorily to his exhibitions, didn’t leave any traces accessible to the public now. The book constitutes itself an informative and analytical manual for people interested in curatorial practices and history of exhibitions. The research is based on the unpublished documents and testimonies of his closest collaborators. The title of the book as well as its four parts (situations – concepts/processes – works – information) refer to Harald Szeemann’s universe of individual mythologies and his exhibition When Attitudes Become Form (1969). |
Format |
Publication |
Date |
Published in September 2007 |
Location |
Co-published by Le Magasin–CNAC and JRP|Ringier |
With |
Jean-Christophe Ammann |
Related archive
Documents
- Book cover [pdf, 527.88 KB]
- Table of content [pdf, 210.24 KB]
- Communiqué de presse (FR) [pdf, 135.86 KB]
- Press release (EN) [pdf, 114.89 KB]
- Bibliography on Harald Szemann [pdf, 54.82 KB]
- Article paru dans “Les Inrockuptibles” [pdf, 2.6 MB]
- Review published in “The Art Newspaper” [pdf, 4.09 MB]
Photographs
Interview with François Aubart
Entretien avec François Aubart
par Damien Airault
18.06.2018
Damien Airault : En quelle année es-tu né et où ?
François Aubart : Je suis né en 1978 à Quimper dans le Finistère.
DA : Tu as fait partie de la 16e Session, donc c’était en 2006-2007.
FA : Je ne sais pas, si tu le dis…
DA : Qu’est-ce que tu avais fait avant de faire l’École du Magasin ?
FA : J’avais fait des études d’Histoire de l’art à l’université de Rennes, où il y avait cette formation qui s’appelait Métiers de l’exposition, et où je n’ai pas été pris. J’ai donc fait une maîtrise, à l’issue de laquelle je suis parti faire ce qui est devenu un master 2, mais qui était encore un DESS – enfin, j’étais dans l’année charnière entre DESS et Master 2, et je suis parti pour ce qui était un DESS et suis sorti avec un diplôme de master 2 à Montpellier en Conservation Gestion et Diffusion des œuvres d’art du XXe siècle. C’était une formation par où sont passés pas mal de gens qui sont après allés à l’École du Magasin.
DA : Tu te souviens de quelques noms ?
FA : Stéphane Ibars, qui était dans la session avant moi, et après je vais te dire des bêtises. Je crois que dans ma génération, dans cette génération sur 3-4 ans, il y en a eu quelques-uns, un par session. C’était un master de l’Université Montpellier 2, dirigé par quelqu’un dont j’ai oublié le nom. Le professeur avec qui je m’étais plutôt bien entendu c’était Patrick Perry, qui était médiéviste à la base et qui enseigne toujours, à l’École des beaux-arts de Montpellier. Je ne sais pas s’il a encore des charges de cours à l’université. Je le croise parfois à Montpellier. Il y avait aussi quelqu’un qui s’appelle Franck Claustrat, qui est un spécialiste de l’art contemporain norvégien. On avait une femme qui nous faisait des cours plutôt pas mal sur l’économie de l’art, j’ai oublié son nom… Après ça, je suis parti à Paris un an, j’ai fait un stage à Brétigny, qui s’est un peu transformé en un semi-emploi, très mal payé.
DA : Avec Pierre Bal-Blanc ?
FA : Oui. Le job était super et l’équipe géniale – c’était plutôt drôle de travailler avec Pierre Bal-Blanc. C’était une toute petite équipe, donc j’ai eu assez vite des responsabilités mais je gagnais vraiment trois fois rien donc je me suis dit qu’il fallait que je continue à me former et j’ai tenté l’École du Magasin à ce moment-là.
DA : Tu as quel âge quand tu pars à l’École du Magasin ?
FA : J’ai 28 ans. Oui, je suis assez tardif.
DA : Tu te souviens de ton sujet de Maîtrise par curiosité ?
FA : Oui, c’était sur l’art activiste et les médias, dirigé par Elvan Zabunyan, qui était assez permissive et qui me permettait de traiter de choses vraiment de l’actualité de l’art, les YES Men pour les plus connus, ou le hacking sur Internet.
DA : Hormis le fait qu’il fallait que tu te formes, pourquoi veux-tu aller à l’École du Magasin ? Quelle est l’image de l’École pour toi ? Est-ce que tu connaissais des anciens élèves ?
FA : C’est assez prestigieux. Et ça semble aussi permettre d’avoir ce qu’on n’appelle pas encore la professionnalisation. Le terme n’était pas encore généralement admis. Il y a cette idée qu’effectivement il va falloir que tu rencontres un milieu, que l’université t’a permis de te former à des savoirs, des connaissances intellectuelles qui ne sont pas applicables et que l’École du Magasin va te permettre de t’inscrire dans un milieu professionnel, te faire rencontrer des gens. C’est l’image que j’en avais. La chose qui me faisait hésiter c’était : « Est-ce que j’arriverai à saisir un contexte où tu rencontres les gens en une journée et il faut que tu sois assez habile pour les connaître ? » Après, il y avait le côté appliqué : la réalisation de projets expérimentaux, le partage de savoirs, la création avec d’autres. Pour être tout à fait objectif, je pense que c’était aussi pour moi une façon de réaliser ce que je n’avais pas réalisé à l’université. Comme je n’avais pas été pris au Master, je n’allais pas refaire un Master 2, et l’École du Magasin n’étant pas un « diplôme diplômant » semblait potentiellement être plus logique pour moi à ce moment-là.
DA : Tu te souviens de ton entretien ? De ce qu’on t’a demandé de produire à l’avance ? Qui était dans le jury ?
FA : Dans le jury il y avait sûrement Alice [Vergara-Bastiand], Catherine [Quéloz], Liliane [Schneiter]. On avait un projet à écrire, mais je ne m’en souviens pas du tout.
DA : Il n’y avait pas Yves [Aupetitallot] alors ?
FA : Je ne pense pas. On a vu Yves quand on a commencé à être informé qu’on allait travailler sur Szeemann, et Yves nous a fait des cours d’histoire de l’art qui étaient juste supers. Il y a eu des cours sur l’art conceptuel, la Documenta 5, et c’était vraiment génial.
DA : Combien de cours à peu près ?
FA : Deux ou trois, grand maximum. On était huit autour de la table et il nous faisait un cours qui, je pense, était semblable à celui ce qu’il donnait aux étudiants de l’École des beaux-arts de Lyon. C’était un cours très rodé, mais super parce que mêlant un point de vue d’historien de l’art et un point de vue d’insider, c’est-à-dire racontant autant les amitiés, les histoires entre les uns et les autres que les enjeux du travail. C’était une période assez curieuse. Très peu de gens nous ont vraiment parlé de Szeemann : il venait de mourir. Tobias Bezzola était très loquace parce qu’il était en train de finir un livre sur lui et avec lui, il avait travaillé avec lui, il avait toute légitimité. À part lui, la plupart des gens nous disaient : « Szeemann, vous savez, je ne sais pas si… » Dans mon souvenir on n’a pas récolté tant de témoignages sur Szeemann si ce n’est des choses très attendues.
DA : Ce n’est pas votre année à laquelle on a proposé de faire quelque chose sur la collection Herbert ?
FA : Non. C’est l’année suivante, je crois.
DA : Est-ce qu’Alice est restée coordinatrice toute l’année ?
: Oui. C’était un ménage à trois très bizarre parce qu’en fait elle était responsable de l’École, et la coordinatrice était Florence Derieux qui était là pour faire le tampon sous les ordres d’Yves. Elle a aussi fait un projet d’exposition de Gavin Turk, elle a fait son projet d’exposition et elle coordonnait l’École. Elle était un peu « l’œil de Moscou » si on peut le dire comme ça. C’était très compliqué car elle aussi se rendait compte de ce contexte. Elle est arrivée en pensant que son ennemie c’était Alice alors qu’elle s’est rendue compte qu’en fait c’était plus compliqué que ça. Nous étions tout le temps dans une triangulaire un peu curieuse.
DA : Maintenant, je commence à avoir tous les points de vue de cette histoire. Ce qui s’est passé… Je ne savais pas d’ailleurs qu’elle avait curaté une exposition Gavin Turk.
FA : Je suis en train de confondre. Il y a eu une exposition Gavin Turk, et elle le connaissait bien. Par contre elle a été curatrice d’une exposition d’un autre artiste anglais dont j’ai oublié le nom, qui faisait des images collées sur des cartons notamment, qui tiennent dans l’espace.
DA : Lothar Hempel ?
FA : Oui. Elle a fait l’exposition Lothar Hempel.
DA : En fait ce qui s’est passé c’est qu’Yves voyait l’École en difficulté, des élèves qui n’arrivaient pas à faire ce qu’ils voulaient et faisaient des projets de plus en plus expérimentaux : au Planning Familial, projet distribué sous le manteau à la Biennale de Venise ou complètement dématérialisé par manque d’argent peut-être : projet vidéo au Mamco… Il se dit, je crois, qu’il va falloir retrouver quelque chose de sérieux. L’imprimé, le livre est à la base de l’École dans ses premières années, il y avait même des stages en imprimerie. Il voit en Florence Derieux la bonne personne. Sadie [Woods][3] dit que Florence connaissait Una Szeemann[4] et qu’elle avait des liens avec la famille. En tout cas, Florence a été la pomme de discorde pour Alice, mais aussi Catherine et Liliane qui se sont senties dépossédées de la chose. Et au départ, l’École était une formation très auto-gérée. Alice a des mots très durs sur cette histoire, une utopie qui est en train d’être détruite et qui se construisait depuis dix ans. L’année d’après, il y a le projet Herbert et Alice décide de partir.
FA : En fait, je ne sais pas si tu as déjà rencontré Florence, mais c’est un personnage assez complexe, difficile à cerner pour le dire clairement. Je crois que l’une comme l’autre se sont rendues compte qu’elles n’étaient pas exactement la personne qu’elle pensait…
Je me rappelle vraiment voir Alice changer. Au tout début, Florence était la personne qui venait lui mettre des bâtons dans les roues – enfin, venait mettre des bâtons dans les roues de l’École. Et clairement, Florence voulait faire les choses en passant au dessus d’Alice. C’était très clair et pour nous c’était vraiment un sujet de malaise : au quotidien on était avec Alice avec laquelle on était en interaction et de temps en temps Florence arrivait et nous disait ce qu’il fallait faire.
Mais assez vite, Florence a compris, a saisi qu’elle était aussi complètement manipulée par Yves et a un peu changé son fusil d’épaule. Je me rappelle très bien Alice à un moment dire : « Non, mais de toute façon, on ne pourra pas travailler sans Florence et il va falloir faire avec. »
C’est à partir de ce moment-là qu’est née cette chose, assez symptomatique : faire le livre avec Florence et faire le projet d’interview avec Alice. C’était vraiment deux températures.
Au final il y avait une sorte d’accord entre l’une et l’autre, chacune regardant l’autre et disant : « Oui, ce n’est pas génial et on va faire avec. » C’était assez réciproque.
DA : Bon alors, plus concrètement, qui est-ce qu’il y avait dans ton année ?
FA : Plus concrètement, il y a eu une fille mexicaine, Karla Roalandini, qui a dû rentrer chez elle en tout début d’année et n’est pas revenue. Il y avait Fabien Pinaroli qui venait de Lyon, Lucia Pesapane, Italienne, Sadie Woods qui venait des États-Unis, Yuka Tokuyama qui était japonaise, Julia Cistiakova, Lituanienne, et Haeju Kim, une oréenne.
DA : À Grenoble, évidemment, l’année est gratuite. Vous habitez tous à Grenoble ?
FA : On habite tous à Grenoble sauf Fabien qui faisait des allers-retours entre Grenoble et Lyon. Fabien est encore plus âgé que moi, je crois qu’il a dix ans de plus que moi, et il a deux petites filles au moment où il est à l’École. C’est un peu un changement de carrière pour lui : il était graphiste à ce moment-là et il avait un chômage, je crois.
DA : Quel était le point commun à ton avis entre les élèves ?
FA : On n’en avait pas beaucoup… Assez vite la lutte contre Florence Derieux a été un point commun et la tentative de survie dans ce contexte. C’était très bizarre parce qu’il y avait au-dessus de cela l’ombre d’Yves, très absent mais aussi très présent dans les décisions qui étaient prises. Et encore au-dessus, l’ombre de Lionel Bovier. Parce que Lionel, je ne sais pas s’il l’a fait, mais son objectif était d’ouvrir une collection sur l’histoire des expositions et c’était une façon de faire le livre dans ce contexte. Il était aussi en couple avec Florence.
DA : Tu comprends pourquoi il y a des choses qu’on ne peut pas rédiger….
FA : En fait, c’était un jeu de dupes assez incroyable et à la fin Florence nous disait : « Mon compagnon il fait ci et ça… », et nous on savait très bien qui était Lionel.
DA : Vous l’aviez rencontré ?
FA : On a eu, je crois, deux rendez-vous avec lui.
DA : Comment se passe l’année ? J’ai compris que vous partiez tous en voyages assez séparément et que vous aviez aussi beaucoup de projets sur le feu. Comment ces projets sont-ils arrivés et comment vous êtes-vous réparti le travail ?
FA : Au tout début, nous avons fait un voyage à Paris qui était assez chouette, pour le congrès de l’AICA. C’était une idée d’Alice, plutôt bonne, qui était de dire que c’était l’occasion de rencontrer des gens intéressants. C’était en septembre. « On verra bien où cela vous mène. »
Ce voyage nous a permis d’avoir des discussions diverses et variées.
Nous sommes rentrés et on nous a dit que nous allions travailler sur la notion d’« archive ». Donc on a commencé à faire des recherches sur « Qu’est-ce que c’est que des archives ? » sans vraiment nous dire le « Quoi du qu’est-ce ».
Au bout d’un moment, peut-être un ou deux mois plus tard, apparaît ce projet : « Il y a les archives d’Harald Szeemann, on va faire quelque chose. » Et très vite arrive aussi l’idée : « On va faire quelque chose qui sera un livre. »
C’est quelque chose que nous n’avons pas vu mais je pense qu’il y avait vraiment des luttes intestines entre Yves qui voulait faire quelque chose d’institutionnel et posé, et Alice et les deux suisses qui essayaient de voir quelle était leur marge de manœuvre.
Après ça, assez vite, on va faire un premier voyage à Tegna1 . Et à chaque fois qu’on y retourne, on passe par des endroits différents. C’est comme ça qu’on a un peu visité la Suisse, et depuis ce temps-là, je la connais assez bien. Ensuite, on fait plusieurs allers-retours en petits groupes pour chercher des informations précises dans les archives, en passant aussi par Monte Verità, où Szeemann avait fait son musée, mais aussi par Zürich parce qu’il avait dirigé la Kunsthalle…
DA : Il y était commissaire invité.
FA : Oui commissaire « permanent-invité ». En essayant de rencontrer les uns et les autres, on a rencontré Bezzola deux fois. Donc nous ne sommes pas allés si loin. Nous avons souvent fait des déplacements en petits groupes ce qui nous permettait de prendre le fourgon de l’École.
DA : Il y a Kassel et Münster aussi.
FA : Oui c’était l’année de la Documenta et du Skulptur Projekte. À la fin de l’année, on est parti avec le bus de l’École des beaux-arts de Grenoble et les étudiants. On n’a pas eu un budget de voyage dingue.
DA : Vous aviez des per diem ?
FA : Oui je crois. Je me rappelle qu’on allait au restaurant manger des risottos : je ne me serais pas permis ça, j’étais au RMI quand même…
DA : Qui est-ce qui a conçu l’architecture du livre ? Comment vous êtes-vous répartis les articles ?
FA : Ça a été le fruit de longs allers-retours entre nous, Alice et Florence. Assez vite, nous nous sommes rendus compte que l’objet central que nous avions entre les mains c’étaient les archives et qu’il fallait que nous travaillions avec. On a aussi eu vent du livre de Bezzola qui est ce livre qui présente toutes les expositions, donc nous nous sommes dit que ça ne servait à rien d’essayer de faire pareil. Nous nous sommes donc concentrés sur certaines expositions un peu emblématiques et avons essayé de voir ce que nous pouvions faire par rapport à ce que nous pouvions trouver dans les archives.
DA : Et le projet d’interviews à Lyon ? C’est un projet qui vient de vous ou plus d’Alice ?
FA : Je pense qu’il vient d’Alice. Là encore, c’est une concomitance : cette année-là il y a la Biennale [de Lyon] qui se trouve être une biennale dont l’enjeu est : « Qu’est-ce qu’un curateur ? » C’est la biennale d’Hans-Ulrich Obrist et Stéphanie Moisdon, qui invitent 50 curateurs, et la question est posée de plein fouet.
DA : Donc vous avez fait un DVD avec des interviews de commissaires. Vous le donniez sur place ?
FA : Non, parce qu’on ne l’a monté qu’après. On a essayé de le montrer : Haeju et Yuka l’ont montré plusieurs fois, moi je l’ai montré aussi dans différents contextes.
DA : Qui aviez-vous interviewé ? Est-ce que c’était des rencontres formelles ?
FA : Non. Comme on avait travaillé sur les « méthodologies individuelles » et que le livre porte sur la méthodologie de Szeemann, on a choisi de poser la même question à tous les commissaires : What is your methodology, your curatorial methodology ? Et chacun y allait de sa réponse.
Nous avons interviewé 26 curateurs : Mathieu Copeland, Marina Fokidis, Alain Diogo, Stuart Comer, Matthieu Laurette, Xavier Douroux, Francis MacKee, Philippe Pirotte, Jens Hoffmann, Adriano Pedrosa, Mathieu Mercier, Pierre Bal-Blanc, Andrea Viliani, Julien Fronsacq, Nicolas Trembley, Raimondas Malasauskas, Giovanni Carmine, Sylvie Boulanger, Beatrix Ruf, Jacob Fabricius, Nicolas Bourriaud, John Armleder, Emmanuel Lambion, Stefan Kalmar, Claire Le Restif, Stéphane Carrayrou, etc.
En fait c’était assez simple : pendant les journées professionnelles, on avait un stand à l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne et ils sont tous passés. Et quand ils passaient, on les accrochait : « Tu ne veux pas répondre à la question ? »
DA : Donc vous vous êtes fabriqué une sorte de petit stand ?
FA : Oui, on était dans l’auditorium et on avait une table où on présentait l’avant-projet du livre et ce projet d’entretiens avec des curateurs. Florence faisait du « rabattage » aussi.
DA : Qu’est-ce que c’était pour vous les commissaire indépendants ? Est-ce que c’était vraiment une chose qui vous obsédait ou vous intéressait ? Est-ce que vous faisiez ça parce que c’était une sorte d’exercice ? Comment perceviez-vous le métier à cette époque-là ?
FA : C’était un fantasme assez collectif. Nataša Petrešin qui était passée à l’École nous avait expliqué comment elle travaillait. Florence à ce moment-là revendiquait la position de commissaire d’exposition indépendante…
DA : Qui d’autre est passé discuter avec vous à l’École ? Il y a ce spécialiste de Duchamp…
FA : Oui, il y a ce spécialiste de Duchamp qui est passé. On a eu aussi un passage de Thomas Hirschhorn, de Raimundas Malašauskas, de Philippe Pirotte, qui était alors directeur de la Kunsthalle de Berne. Je ne sais plus.
À quoi correspondait ce métier ? Je ne sais pas bien en fait… Mais ça relevait d’une forme de désir. Ça ressemblait un peu à la situation idéale : tu es autonome, indépendant, et ton travail consiste à signer des expositions. C’est aussi ça que nous renvoyait l’histoire de Szeemann, et on l’a vraiment envisagé comme ça : ce type qui tout à coup, de commissaire et historien attaché à une structure, donc attaché à des enjeux historiques et scientifiques, commence à inventer une écriture qui lui est propre avec les expositions. Nous étions baignés de ce fantasme-là qui était aussi une chose de l’époque. Quand tu relis la liste des noms, c’est ce que revendiquait Malašauskas, par exemple. C’est aussi ce que revendiquait Hans Ulrich Obrist d’une autre façon. C’était quand même la période flamboyante de cette idée du commissaire d’exposition comme auteur d’exposition.
DA : Ah oui ? Je ne suis pas d’accord.
FA : Moi non plus ! Aujourd’hui, je ne suis pas complètement d’accord.
DA : On se rend compte, dans les années 1990, qu’effectivement tous les commissaires indépendants passent, et que déjà ils commencent à saturer le marché : Obrist, Bourriaud, Moisdon, et tu as déjà des Ami Barak, des Barnaby Drabble, pleins…
FA : Ami Barak intervenait dans le Master dont je te parlais.
DA : J’en passe et des meilleurs : des Stella Rollig, Clémentine Deliss, Ute Meta Bauer étaient aussi des commissaires indépendantes et on est encore dans les années 1990.
FA : En tout cas, c’est l’image que j’en ai : effectivement, on baignait dans ce fantasme, cette vision.
DA : Comment ça se passait avec le reste de l’équipe du Magasin ?
FA : Oui, on voit pas mal le staff, on déjeunait assez souvent ensemble.
DA : Alors dans la vie quotidienne qui est-ce qu’il y avait ? Anne Morel par exemple ?
FA : J’ai complètement oublié. Il y avait cette personne qui faisait l’administration-comptable, cette fille de la médiation – je la croiserais je la reconnaîtrais…
DA : Il y avait Inge [Linder-Gaillard] à l’époque ?
FA : Il y avait Inge, évidemment, qu’on voyait beaucoup, et son compagnon Benoît qui tenait la sandwicherie où on allait tout le temps. On était plutôt intégrés à la vie du Magasin. On a fait des visites du lieu avec Inge, on allait souvent dans les archives du Magasin, parce qu’il y avait des archives avec notamment les magazines. Comme on se déplaçait avec la fourgonnette de l’École on allait demander à cet administrateur pour réserver la voiture… Thomas Vasseur.
Donc on était assez en lien avec l’équipe. On ne faisait pas vraiment de choses avec la médiation. Mais effectivement, quand les artistes venaient, on les rencontrait. On avait toujours un peu un temps soit en amont, soit pendant l’exposition où ils nous faisaient une visite.
On était là pendant les vernissages jusqu’aux dîners. On était aussi aux premières loges des conflits, mais rien de spectaculaire : dans n’importe quelle structure il y a des conflits. On était dans les histoires de tous ces gens.
DA : Est-ce que vous alliez à l’École des beaux-arts de temps en temps ?
FA : Assez peu. Mais il y avait l’assistante d’Inge, qui s’appelait Anaëlle Pigeat, dont le copain, Tolga, était à l’époque étudiant aux Beaux-arts. Et donc, par lui, on avait quelques liens.
Il y avait aussi comme libraire un jeune homme qui est maintenant le directeur du centre d’art à Saint-Fons, Nicolas Audureau. Sa petite amie, Elena Yaïchnikova, avait participé à la session précédente. Nous les voyions assez souvent.
J’ai également beaucoup rencontré Stéphane Sauzedde, qui venait d’ouvrir un lieu d’exposition qui s’appellait Oui.
Donc on était en lien avec le territoire local, mais plutôt par accointances, entre amis. Alice était aussi attentive aux conférences à l’École des beaux-arts, on allait les voir.
DA : Entre vous, ça se passait bien ? Pas de conflits majeurs ?
FA : Entre nous, ça se passait plutôt bien. En fait, nous avons très vite trouvé une forme d’unité « contre ». On avait des différends, pas les mêmes façons de penser, mais assez vite on s’est retrouvé contre Florence, avec des limites à cette position au bout d’un moment. Et on s’est aussi retrouvé contre Yves, indirectement. On a assez vite fait front. On s’entendait plutôt bien.
DA : Quelque chose revient pendant la période Lionel, Catherine et Liliane, c’est un côté académique très axé sur les études culturelles, où les élèves lisaient énormément, et des choses complètement inédites.
FA : Oui, Catherine et Liliane sont venues une fois ou deux, mais très peu : elles étaient déjà assez mises à l’écart. Liliane a fait un séminaire sur les liens entre Walter Benjamin et Internet, quand même le fantasme des années 1990 : le shareware, ce genre de choses. Et nous sommes allés voir Liliane pour une autre raison très précise, mais nous étions allés à Genève. Cette année-là, elles ont vraiment pris leurs distances avec l’École, c’était très flagrant. On n’a pas eu ce bagage d’ études culturelles et autres. Bon an, mal an, Alice nous en apportait quand même, mais ce n’était pas très inscrit.
DA : Quand j’y repense, nous étions beaucoup moins productifs que vous. Nous avons fait moins de projets, mais on a beaucoup voyagé par contre.
FA : On avait quand même une bibliographie sur l’histoire des expositions que n’était pas si mal, et dont je m’en sers toujours : des textes d’Yves-Alain Bois dans les Cahiers du MNAM, ce genre de choses. Je pense que Florence a apporté des choses à distance… En tout cas, les études culturelles et « Proto-Queer » sont passés loin de nous…
DA : Quand sort le livre ?
FA : À la rentrée suivante. Donc on est revenus à Grenoble pour cette espèce d’exposition qu’on a présentée dans le Salon rouge du Magasin.
DA : Vous êtes revenus pour vérifier les tirages ?
FA : Non, le livre ils l’ont imprimé eux-mêmes.
DA : Oui, c’est vrai, Lionel Bovier se débrouille très bien tout seul…
FA : Et c’est Alice et Florence qui sont allées au calage. À un moment, Florence a récupéré tous les contenus et a fait le livre. On a validé des PDFs et des choix de maquettes. On a quand même un peu discuté avec [David] Rust et [Gilles] Gavillet qui avaient fait la maquette.
DA : Donc vous faites une sorte de petit show-room pour la sortie du livre ?
FA : Oui. Il y a le livre et le DVD des entretiens, que nous avons aussi fini pendant l’été. Je me rappelle avoir fait des sous-titres parce que beaucoup de gens parlaient en français et on avait l’intention de le faire circuler. Je voulais le montrer à Passerelle, ce que je n’ai jamais fait. Notre présentation était en marge de l’exposition de rentrée du Magasin.
DA : Qu’est-ce qui se passe alors pour toi après l’École ?
FA : À ce moment-là, Paul Bernard (maintenant commissaire au Mamco) avait une maison de campagne en Bretagne et pendant l’année où j’étais au Magasin on préparait une exposition chez lui. Cet été-là, ça m’a occupé. Ensuite j’ai assez vite eu du travail avec Christine Finizio, qui était une des co-fondatrices de Documents d’artistes et qui était en train de monter une documentation sur les artistes diplômés des quatre écoles d’art de Bretagne, et je l’ai assistée dans la réalisation de ce projet. Parallèlement, j’ai commencé à écrire un peu, et organisé une exposition à l’École des beaux-arts à Rennes, à Brest, dans la galerie ACDC. Logiquement, j’ai fait pas mal de choses en Bretagne tout en état installé à Paris, car je n’ai pas spécialement envie de vivre en Bretagne. Mon premier travail à peu près décent, mais toujours très mal payé, sera de faire des vacations à l’Université de Rennes en Master Métiers de l’exposition.
DA : Est-ce qu’on a oublié quelque chose ?
FA : Je dirais qu’il y avait quelque chose de très excitant dans nos rencontres avec ces vingt-six commissaires. Maintenant, quand je parle avec d’anciens étudiants en écoles d’art, on ressent que tout d’un coup, on a été dans un environnement très énergétique et chargé, excitant et motivant. Et après il faut dealer avec. C’était très riche de rencontres. Après l’École, j’ai écrit beaucoup de papiers autour de la question des archives, de l’association d’images qui viennent de ce projet. C’est avec ce livre que j’ai commencé à réfléchir à des questions liées aux archives donc ça m’a apporté un important bagage. Le contexte compliqué du Magasin m’a aussi fait comprendre qu’il n’y a pas de contexte idéal pour faire des projets d’expositions ou d’autre nature.
- Tegna en Suisse, où sont conservées les archives d’Harald Szeemann. ↩
Interview with Sadie Woods
coming soon