Session 11: presentation
Session | 11 (2001–2002) |
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Participants |
Damien Airault |
Direction |
Yves Aupetitallot |
Session website | |
Coordination |
Alice Vergara-Bastiand |
Tutoring |
Lionel Bovier |
Educational team |
Liliane Schneiter |
People met |
Hildegund Amanshauser (director, Kunstverein de Salzburg) |
Travels |
Lyon |
Related archive
Documents
- Discussion au Planning familial (FR) [pdf, 78.47 KB]
- Planning semaine du 26 novembre 2001 (FR) [pdf, 2.02 MB]
- Présentation du séminaire de Liliane Schneiter, “Walter Benjamin/Cyber” – partie 1 (FR) [pdf, 11.43 MB]
- Présentation du séminaire de Liliane Schneiter, “Walter Benjamin/Cyber” – partie 2 (FR) [pdf, 13.3 MB]
- Présentation du séminaire de Liliane Schneiter, “Walter Benjamin/Cyber” – partie 3 (FR) [pdf, 23.1 MB]
Photographs
XEROS
Project |
XEROS |
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Presentation |
As part of research on curatorial practices, the Session 11 of the École du Magasin has developed a project on the notions of space and sexuality. In this project, the aim is to consider both how sexualities appropriate spaces, diverting their usual functions, and, conversely, how spaces influence sexual practices. Beyond this observation, to relate sexualities – in their practices as well as in their representations – to space is to show sexualities “in situation”, to inscribe them in a physical relationship to the exhibition space. |
Format |
Exhibition and evening film programme |
Date |
24 June – 19 July 2002 |
Location |
Planning familial in Grenoble and Magasin-CNAC |
With |
Bernard Bazile |
Related archive
Interview with Damien Airault
Entretien avec Damien Airault
par Ekaterina Shcherbakova
Ekaterina Shcherbakova : Tu es né en quelle année ?
Damien Airault : En 1977.
ES : Et tu as fait partie de quelle session ?
DA : La 11e session, en 2001-2002.
ES : Quelles furent tes études avant l’École ?
DA : Avant l’École j’ai fait une maîtrise d’arts plastiques.
ES : Donc tu as une formation d’artiste.
DA : Non, c’était plutôt axé sur la théorie. Il y avait un peu de pratique, mais ça ne valait rien. C’était plutôt une formation théorique avec beaucoup d’histoire de l’art. J’ai fait mon mémoire sur un groupe français post-situationniste qui s’appelle Présence Panchounette. J’ai eu ma maîtrise en 2000 et entre 2000 et 2001, j’ai préparé l’agrégation d’arts plastiques que j’ai ratée. Il n’y avait que 5 ou 6% des candidats pris à l’époque. C’était un peu la roulette. Aussi, je travaillais avec le Frac Aquitaine à Bordeaux et j’ai réalisé un livret avec eux.
ES : Tu as également suivi tes études à Bordeaux ?
DA : Oui, tout à fait. Je suis né à Niort, en Poitou-Charentes, à quelques centaines de kilomètres au nord de Bordeaux. Et j’ai fait mes études à Bordeaux, et travaillé là-bas, pendant un an ou deux, au Frac Aquitaine. J’ai travaillé sur trois expositions. À l’époque, j’étais encore étudiant donc j’étais une espèce de stagiaire. C’était une sorte de stage non conforme, j’ai été un petit peu payé et défrayé. Et puis, j’ai organisé quelques évènements à l’université : des festivals de performance, des projections vidéo. J’étais assez actif. À l’époque où je travaillais avec le Frac, je me suis fait embarquer dans des productions qu’ils faisaient. J’ai par exemple assisté à des productions de Joël Hubaut, je suis allé à un festival d’arts plastiques qui avait lieu à Saint-Sébastien. J’ai rencontré des gens comme Jean-Luc Moulène. J’ai fait du piano, aussi, sur des projections de cinéma expérimental à Saint-Sébastien. J’ai écrit quelques articles pour une revue d’art basque qui s’appelait Zehar. Donc j’étais très actif. J’avais une voiture et je faisais le tour de la France. J’allais aussi souvent en Espagne.
ES : Tu avais quel âge quand tu as postulé à l’École ?
DA : En 2001, j’avais 24 ans. J’étais le plus âgé de la session.
ES : Comment as-tu entendu parler de l’École ?
DA : C’est le directeur du Frac, Hervé Legros, avec qui je m’entendais bien, qui m’a dit : « Maintenant, ce serait bien que vous tentiez l’École du Magasin. » Moi, je ne savais même pas ce que c’était qu’un commissaire d’exposition. Je l’avais découvert six mois auparavant en faisant les flyers de mes expositions avec le Frac. Je ne savais même qu’il existait un terme pour dire ce qu’on faisait. J’ai donc fait des recherches sur l’École sur Internet et j’ai trouvé ça super. Hervé Legros m’a fait une lettre de recommandation et j’ai été présélectionné.
ES : Je me rappelle que tu m’avais dit avoir aussi postulé aux Beaux-arts.
DA : Oui, j’avais postulé aux Beaux-arts de Paris et j’ai également été présélectionné. C’était une période assez floue pour moi.
ES : Tu hésitais entre pratique artistique et pratique curatoriale ?
DA : J’avais un peu une pratique artistique à l’époque, mais qui n’était pas terrible. En fait, j’ai voulu rentrer aux Beaux-arts de Paris un peu sur un coup de tête.
ES : Et qu’est-ce que tu as envoyé comme dossier de candidature pour l’École ?
DA : Je ne me souviens plus si j’ai dû faire un projet. Mais j’avais inclus le petit catalogue que j’avais fait au Frac, les articles que j’avais publiés, un CV, une lettre de motivation. C’était déjà pas mal pour un mec très jeune.
ES : Et donc, après la sélection, tu es venu à Grenoble.
DA : Oui, je suis venu en voiture. À l’entretien, il y avait au moins Lionel [Bovier] et Alice [Vergara-Bastiand], et peut-être une personne de plus – je ne me souviens plus. J’étais surpris car ça s’est très bien passé. Je pensais qu’ils allaient me poser des questions sur mes compétences, sur ce que j’avais fait. Mais pas du tout : ils ne m’ont interrogé que sur mes centres d’intérêt. « Qu’est-ce que vous aimez en art ? Qu’est-ce que vous lisez comme livres ? » Dans mon dossier, j’avais indiqué que je m’intéressais à la psychanalyse, et du coup ils m’ont demandé : « Qu’est-ce qui vous intéresse dans la psychanalyse ? » C’était très agréable. J’ai ensuite passé la nuit à Grenoble, et le lendemain je suis rentré en voiture. Je me suis arrêté à une cabine téléphonique à carte et j’ai appelé le Magasin qui m’a informé que j’avais été retenu. J’étais super content.
ES : Et qui était avec toi dans le groupe ?
DA : Il y avait Stéphanie Garzanti, Valérie Chartrain, Benoît Villain et Estelle Nabeyrat. On était cinq.
ES : Donc tout le monde était français ?
DA : Oui.
ES : Et d’où venaient-ils ? Ils étaient du même âge que toi ?
DA : À peu près ou un petit peu plus jeune. Ils avaient tous un intérêt pour les pratiques curatoriales, ils avaient fait des expositions et étaient très actifs. Stéphanie, je ne me souviens plus bien, mais je crois qu’elle avait fait les Beaux-arts de Lyon ; Valérie avait fait Science Po et un peu d’histoire de l’art ; Estelle, je ne me souviens pas ; et Benoît avait aussi fait les Beaux-Arts, il était artiste et avait commencé à travailler comme médiateur à Lille ou à Tourcoing. On lui avait dit qu’il pourrait faire l’École du Magasin, ce qui lui permettrait d’obtenir un poste supérieur titularisé et c’est ce qui s’est passé.
ES : Et donc, Lionel Bovier était votre tuteur.
DA : Tout à fait.
ES : Et il était également le commissaire associé au Magasin à cette époque-là ?
DA : Oui, il était le commissaire des deux expositions qui ont eu lieu cette année-là : Sylvie Fleury était en montage quand on est arrivé ; et ensuite il y eu Jack Goldstein. Donc en fait, il était beaucoup sur place. On allait aussi le rencontrer à Genève et il venait régulièrement : on le voyait au moins une fois par mois.
ES : Est-ce qu’on peut dire que, du fait qu’il était le commissaire des expositions en cours, il vous a fait rentrer dans le processus de sa propre pratique curatoriale ?
DA : Oui, mais non, en fait. Il ne parlait pas précisément des expositions qui étaient en construction au Magasin, même si on rencontrait les artistes, par exemple. En fait, il parlait beaucoup de son réseau. Il arrivait toujours et nous disait : « J’ai vu une exposition géniale, il faut absolument que vous alliez la voir. » Il passait son temps à partager des informations. Et on passait énormément de temps ensemble la journée et le soir au restaurant à discuter. On était finalement assez proche.
ES : Par quoi avez-vous commencé ? Quel était le processus de la formation ?
DA : On avait un agenda assez serré. On avait beaucoup d’activités qui nous étaient proposées. On savait qu’on avait cette exposition de fin d’année à réaliser, mais quand on est arrivé, on a dû réaliser un site Internet pour lequel il fallait créer ce qu’ils appelaient des « pièces digitales ». Après, ils nous ont dit : « Pour vous mettre dans le bain, vous allez réaliser un projet dans la librairie en décembre. » On avait juste deux mois. On a fait une sorte de projet très processuel : on a déplacé les étagères de la bibliothèque de l’École dans la librairie. C’est assez naïf, mais on était content de notre coup. On avait des cours d’anglais.
Avec Catherine [Quéloz] et Liliane [Schneiter] c’était aussi très cadré. On faisait des voyages. On avait des invités qui nous étaient proposés et on avait aussi la possibilité de suggérer des rencontres. Par exemple, on est allé voir Marion von Osten à Zurich. Christian Bernard, c’est aussi quelqu’un qu’on a proposé car on allait régulièrement au MAMCO à Genève. Ensuite, comment est-ce qu’on a commencé à travailler sur notre projet de fin d’année ? Dans les premiers mois, il y a eu des difficultés de logement ce qui a fait qu’on n’était pas tous sur place. Dès qu’il y avait des rencontres ou des voyages, on était ensemble, mais sinon ce n’était pas le cas.
ES : Et qui d’autres avez-vous rencontré ?
DA : On a rencontré énormément de monde. Ceux qui sont venus à Grenoble : Olivier Lugon, Christophe Chérix. On est allé au CIPAC et on a rencontré les gens du post-diplôme de Nantes. On est aussi allé en Autriche où on a rencontré tous les directeurs des centres d’art à Vienne, Innsbruck, Graz, Bregen. On a également fait venir Barnaby Drabble qui était un théoricien assez important à l’époque et qui avait publié Curating Degree Zero, un livre dans lequel il interviewe une trentaine de commissaires alors très actifs. Il leur pose des questions telles que « Qu’est-ce qu’un commissaire pour vous ? », « Qu’est-ce que votre travail ? », « Est-ce un travail d’artiste ? D’auteur ? » À l’époque, ça me travaillait beaucoup ces questions. On a aussi voyagé à Zurich, et à Paris où on a rencontré Hans-Ulrich Obrist. Après, les voyages se mélangent un peu avec mes voyages personnels. Comme j’avais une voiture, j’allais souvent à Genève ou Lyon.
ES : Comment et quand avez-vous commencé à développer le projet de fin d’année ?
DA : C’était assez tardivement. On était très en retard. On était parti de cette question du lieu qui nous embêtait car on n’en avait pas et il n’était pas possible de faire une exposition dans le Magasin.
ES : Pourquoi ?
DA : Raisons politiques, administratives. Tous les espaces étaient pris. Et puis c’était un peu le défi qui nous était lancé. On a cherché, on est allé dans des agences immobilières, on est allé rencontrer des associations. Il n’y avait rien qui nous convenait, on ne tombait pas d’accord. Et puis il y a eu une sorte de conjonction où à un moment on s’est dit qu’on allait faire un projet sur les sexualités et l’espace. C’était après avoir pris connaissance de la littérature apportée par Catherine et Liliane, et aussi du fait que ça intéressait certains. On s’est donc dit qu’on allait faire quelque chose sur un sujet qui nous préoccupait. Et on a commencé à faire des choses assez drôles comme des enquêtes sur la prostitution dans le cinéma ; on a fait des plans des boîtes de nuit et des analyses comportementales des déplacements dans ces espaces ; on est allé dans les saunas échangistes. C’était assez cocasse. Et on a appris que le Planning familial de Grenoble était le premier Planning de France, et qu’en 1964, c’était l’un des premiers où les IVG étaient tolérées. Il y avait encore des membres du MLF très militantes qui y travaillaient où qui en étaient proches donc on est allé les rencontrer et discuter avec elles. Et l’idée nous est venue de faire notre exposition dans la salle de réunion et de conférence ainsi que dans la bibliothèque du Planning familial de Grenoble.
ES : Comment cette recherche a-t-elle été présentée dans votre exposition car là tu ne parles pas des artistes, de différentes expériences accumulées ?
DA : En fait, on a très peu côtoyé d’artistes. On avait cette idée de sexualité et d’espace, d’espaces genrés, et on a donc cherché des artistes qui traitaient de ça. On n’avait pas d’argent et on voulait faire quelque chose de léger donc on leur a proposé de nous envoyer des archives ou des documents de travail qui leur servaient à produire des œuvres et qu’on a accrochés. C’était aussi dans l’idée de réunir un ensemble de photos, textes, matériels d’information qu’on allait pouvoir donner à d’autres par la suite pour qu’ils les réorganisent et qu’ils les remontrent. Et l’exposition a été remontée deux fois : un an et demi et deux ans après.
ES : Par qui ?
DA : Émilie Renard l’a reprise à Public à Paris, et ensuite, grâce à Ludovic Burel qui était enseignant à l’école d’art de Grenoble, on nous a proposé de réaliser un cahier iconographique pour la revue Multitudes. Il s’agissait de choisir trente images qui résonnaient avec les articles, et de les intercaler dans la revue.
ES : Donc au vernissage, il n’y avait pas d’artistes.
DA : Si, une artiste est venue à ses frais du Canada : je crois que c’était Nadine Norman. Et c’est tout. Il était aussi dans les clauses qu’on ferait ce qu’on voulait des archives. On a reçu des contributions très inégales et très drôles : par exemple, des photos des boîtes d’archives de Marnie Weber. À l’époque, elle réalisait de très grands collages photographiques avec des papillons, des femmes nues, des animaux. On avait des photos de ses extraits de collages et banques d’images. Tom Burr nous a envoyé une boîte à chaussures de cartes postales de sculptures de Tony Smith qu’il collectionnait et qui ont été volées plus tard.
ES : Quel était le budget de l’exposition ? Était-il défini dès le départ ?
DA : Je crois que l’École voulait nous mettre dans une perspective économique et il n’y avait donc pas de budget. On a dû, à travers des devis et négociations, défendre toutes les dépenses, même quand il fallait acheter des charnières ou des planches en bois. Benoît est par exemple allé dans tous les magasins de bricolage pour obtenir différents devis qu’il a ensuite soumis à Alice. Je me souviens que j’étais allé voir Bernard Bazile à Paris et il avait fait numériser beaucoup de photos et à l’époque les scans coûtaient très cher. Il les avait réalisés dans une des entreprises les plus chères de Paris et il en avait eu pour 200 ou 300 euros pour 2 CD. Alice avait trouvé ça très cher et c’était remonté dans le bureau de Yves Aupetitallot.
Une autre chose que nous avons faite, et c’est surtout Stéphanie et moi qui l’avons organisée, c’était une soirée vidéo au Magasin dans le cadre de la semaine LGBT de Grenoble. Il y avait une sorte de défilé dans la ville, et j’étais allé rencontrer les collectifs pour les convaincre de venir au Magasin à cette occasion. Du coup, il y a eu un retour de communication intéressant : dans le programme LGBT, la soirée vidéo au Magasin était annoncée et Le Magasin a publié une petit pub-évènement sur son site pour promouvoir la semaine bi-transgenre homosexuelle de Grenoble. On a montré du Kenneth Anger, du K8 Hardy…
ES : Quel lien aviez-vous avec la scène artistique grenobloise ?
DA : Quasiment aucun. Personnellement, j’allais régulièrement aux Beaux-arts car je m’ennuyais souvent à l’École. J’allais le matin voir Gianni Motti qui y était enseignant et lui demandais si je pouvais le suivre dans ses visites d’atelier. J’ai passé trois jours à différents moments à observer sa façon de faire avec les élèves, avec qui je discutais ensuite. Du coup j’ai rencontré certains d’entre eux, dont un peintre avec qui je suis toujours en contact.
ES : Et existait-il des lieux artistiques à Grenoble ?
DA : Oui, il y avait le CAB Bastille. À côté il y avait le Brise-Glace qui organisait de très bons concerts et d’excellentes projections de cinéma expérimental.
ES : Et comment ça se passait avec l’équipe du Magasin ?
DA : Très bien. On voyait peu Yves. Évidemment, Alice travaillait aussi à la Librairie. On discutait beaucoup avec les médiateurs qui étaient très sympas. À l’époque, il y avait parmi eux quelqu’un qui s’occupait aussi de la Salle de Bain à Lyon. Je m’entendais très bien avec la Chargée des expositions, Inge Linder-Gaillard. Mais on ne participait pas vraiment à la vie du centre d’art.
ES : C’était donc plutôt personnel.
DA : Presque exclusivement personnel.
ES : Quelle image du commissaire l’École véhiculait-elle à ses étudiants à cette époque-là ?
DA : À l’époque, je pensais que j’allais devenir une commissaire d’exposition indépendant. Je ne me suis pas rendu compte que beaucoup avaient des plans de carrière fixés.
ES : Après votre exposition, qu’est-ce qui s’est passé ? Est-ce que certains ont collaboré avec des personnes rencontrées pendant votre année ? Quelle était la suite ?
DA : Pour ma part, même si je ne les avais pas rencontrés, j’ai réalisé des entretiens avec Marnie Weber et Jim Shaw. Je suis devenu plus proche d’Alain Della Negra qu’on avait présenté dans l’exposition. Estelle est partie travailler aux Beaux-arts de Vienne. Valérie a très vite trouvé une position dans une galerie à Paris puis à Berlin, si ma mémoire est bonne. Ce qui s’est passé aussi, c’est que quand on est allé à Nantes, on avait rencontré les gens du post-diplôme qui était alors géré par Clémentine Deliss. Elle l’a quitté dans la foulée mais il a été négocié, avant son départ, que le post-diplôme continuerait pour une année supplémentaire et que son salaire serait réparti entre les élèves. C’est donc devenu un post-diplôme autogéré et ils m’ont invité trois mois à Nantes en résidence. J’ai fait une exposition avec eux. C’était juste après la fin de l’École.
Il y a quelque chose que je voudrais dire encore sur l’exposition. C’était quand même très particulier et on a eu très peu de public. Le Planning c’était des bureaux : il y avait une salle d’entretiens et une salle de gynécologie. Il était situé à l’étage d’un immeuble du centre-ville.
ES : Le Planning fonctionnait-il pendant votre exposition ?
DA : Oui, tout à fait. Du coup, en allant au Planning, je me suis retrouvé plusieurs fois dans l’ascenseur avec des adolescentes en pleurs. C’était un lieu qui était fort, et c’était presque obscène de présenter de l’art contemporain dans un endroit qui brasse tant de vécus tragiques. D’un autre côté, c’était vraiment intéressant. Je me souviens avoir fait une visite de l’exposition avec un groupe d’adolescentes des banlieues encadré par le Planning et elle leur avait beaucoup plu. Il y avait beaucoup de documents sur l’homosexualité et le rôle des femmes. Elles découvraient plein de choses. Il y avait une fille qui avait 13 ou 14 ans, et qui m’avait dit : « En fait, ce que vous nous montrez c’est la réalité. » L’exposition s’adressait à ce public très particulier, et le public de l’art contemporain, lui, n’est pas venu. (…)
ES : J’imagine, d’autant qu’il s’agissait de confronter des histoires qui croisent le vécu des personnes dans un lieu très chargé.
DA : Oui, mais ce n’est pas quelque chose qu’on avait vraiment anticipé. On n’avait pas vraiment de recul. À l’intérieur du Planning, il y avait des personnes un peu sceptiques et d’autres très enthousiastes. Une fois qu’on a eu l’accord du Planning, tout est allé très vite. On s’était d’abord intéressé aux personnes qui travaillaient au Planning car elles croisaient nos recherches et avaient des choses à nous raconter sur mai 1968, sur les années 1960 et sur le féminisme. Il y avait beaucoup d’anecdotes croustillantes. Quelqu’un nous a par exemple raconté avoir fait passer du spermicide dans des pare-chocs de voiture à la frontière suisse. C’étaient des aventurières qui avaient quelque chose d’héroïque. Et comme le courant est passé avec beaucoup d’entre elles, on s’est dit qu’on pourrait faire l’exposition là.
ES : Est-ce qu’il y a quelque chose que tu souhaiterais ajouter ?
DA : Oui, comme le disait dans son entretien Nicolas [Fenouillat] qui a suivi le programme de l’École l’année suivante : « On a passé beaucoup de temps à lire. » Et c’est vrai qu’on lisait beaucoup, à la fois des textes qu’on nous proposait et d’autres qu’on piochait dans la bibliothèque de l’École. On lisait Donna Haraway, Judith Butler, Giorgio Agamben, Walter Benjamin, des textes sur la critique institutionnelle… On a été mis à contribution une fois : on a suivi Lionel dans ses liens avec l’imprimeur pour le catalogue autour de Jack Goldstein. On le regardait faire les retouches photo et on lui donnait notre avis sur les chromies. Ça aussi, ça faisait partie des petites excursions.
ES : De ce que j’entends ça devait être génial d’avoir Lionel comme tuteur.
DA : Oui, et c’est quelqu’un de très transparent.
ES : Par rapport à cette idée d’exposition qui circule, envisagiez-vous la possibilité que des documents soient ajoutés ?
DA : Oui, tout à fait. Et on pouvait aussi en enlever. Pendant un temps j’avais même moi-même écrit un projet de Xerox 4 pour le CAPC de Bordeaux mais ça n’a pas marché.
ES : Le projet Do It existait-il déjà à l’époque ?
DA : Absolument, c’était une référence importante pour nous. Il y avait aussi les projets d’Obrist très processuels qui nous inspiraient beaucoup. Il y avait The Wrong Gallery avec Maurizio Cattelan qui commençait tout juste. Tout ça nous faisait réfléchir. Nous avons aussi visité une exposition à Graz d’Alex Farquharson sur Las Vegas qui nous avait beaucoup impressionnée. Je pense que cette idée de commissaire comme quelqu’un qui crée des supports d’exposition, d’autres moyens de montrer, parfois sans œuvre ou en s’appropriant le travail des artistes, m’a beaucoup influencée. C’est une façon de voir assez typique de l’École du Magasin à cette époque-là. Alice était assez ferme là-dessus : on n’est pas des organisateurs. Certes on est au service des artistes, mais pas seulement.