Session 10: presentation
Session | 10 (2000–2001) |
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Participants |
Jean-François Sanz |
Direction |
Yves Aupetitallot |
Session website | |
Coordination |
Alice Vergara-Bastiand |
Tutoring | – |
Educational team |
Liliane Schneiter |
People met |
Fareed Armaly (artist, director Künstlerhaus Stuttgart) |
Travels |
Zürich–Bsel–Karsruhe–Francfort–Stuttgart (oct. 2000) |
Digital Deviance
Project |
Digital Deviance |
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Presentation |
Digital Deviance is an exhibition that combines multiple artistic strategies of resistance according to this principle of digitality: infiltration, sabotage, insertion, simulacre… The issue is to experiment an art which aims at direct action into society. A network of international artists under-represented in France will be offered a visibility as well as other groups already confirmed on the gbench scene. |
Format |
Exhibition |
Date |
3 June – 2 September 2001 |
Location |
Magasin-CNAC |
With |
Association of Autonomous Astronauts A.A.A. |
Interview with Jean-François Sanz
Entretien avec Jean-François Sanz
par Lore Gablier
15.06.2018
Lore Gablier : Comment avez-vous entendu parler de l’École du Magasin et pourquoi avoir fait le choix d’y postuler ?
Jean-François Sanz : J’ai travaillé pour l’exposition collective d’ouverture des Abattoirs à Toulouse, sous la direction de Pascal Pique, dont j’étais l’assistant. J’ai un cursus qui n’est pas du tout d’histoire de l’art ou des beaux-arts. J’ai fait du droit et de la communication. Et suite à cette expérience dans l’art contemporain j’ai voulu poursuivre dans cette voie. C’est Pascal Pique qui, lors d’une conversation, m’a recommandé la formation de l’École. J’ai donc candidaté et été admis. Pour moi, c’était bien parce que j’avais pas mal de lacunes. J’avais une connaissance de l’histoire de l’art qui était totalement autodidacte. En un an, ça m’a permis de rattraper pas mal de retard et d’engranger plein de connaissances sur le plan théorique, historique, méthodologique et conceptuel. Pour moi, ça a été une formation super efficace de ce point de vue.
LG : Quelle était l’équipe pédagogique à l’époque ?
J-F S : C’était Alice Vergara-Bastiand qui coordonnait l’ensemble et notre intervenant principal était Lionel Bovier qui aujourd’hui est directeur du MAMCO à Genève. Après, on avait différents intervenants, différents séminaires ponctuels.
LG : Il s’agissait d’un programme qui vous a été présenté dès le début de l’année ? Vous parlez de différents sujets : le programme était-il structuré ?
J-F S : Il y avait Catherine Quéloz qui a fait un séminaire en lien avec l’histoire de l’art. Liliane Schneiter avait fait un séminaire sur Walter Benjamin. Après, on a eu pas mal de liberté pour choisir notre thème de travail et orienter d’autres rencontres autour de la problématique de l’exposition qu’on préparait. On avait choisi de travailler sur l’activisme d’un point de vue numérique. C’était les débuts de l’Internet et on s’est saisi de cet outil qui était encore très nouveau à l’époque. On s’intéressait à la dimension activiste du numérique, de l’Internet.
LG : Comment ça se passait au niveau de votre groupe ? Comment êtes-vous parvenu à définir votre thématique commune ? A-t-elle été ressenti comme un consensus forcé ou y avait-il un réel intérêt partagé ?
J-F S : L’idée est arrivée petit à petit et elle a été bien acceptée par l’ensemble du groupe. On était peu nombreux : quatre cette année-là. On était plus nombreux au début mais il y en a qui sont partis en cours de route. Moi je venais de travailler avec un collectif américain qui s’appelle Critical Art Ensemble. Ils étaient intervenus pour l’exposition d’ouverture des Abattoirs. Et eux étaient totalement dans cette mouvance d’activisme radical. J’avais proposé ce sujet-là et le reste de la promotion s’est intéressé à cette thématique. On a donc invité Critical Art Ensemble à venir préparer l’exposition, à y participer. C’est un sujet qui intéressait les membres de la promotion à divers titres et je pense qu’au bout de quelques mois un réel intérêt s’est développé.
LG : Après s’être entretenu avec des participants des premières sessions, on s’est rendu compte qu’au départ, la formation de l’École mettait l’accent sur des aspects pratiques. Lionel, avec qui on a également eu un entretien, a été invité par Yves pour repenser le programme et effectivement le repositionner aussi sur des questions théoriques. À votre époque, quelle était la balance entre théorie et pratique ?
J-F S : Disons que la première partie de l’année était plutôt théorique. C’est devenu vraiment pratique dans la phase de réalisation de l’exposition elle-même : quand on a accueilli les artistes et qu’on a monté l’exposition.
LG : Elle était montrée où l’exposition ?
J-F S : Dans les deux salles du fond des galeries. Après, au cours de l’année, on a eu des échanges avec des artistes qui exposaient au Magasin. Je me souviens que Xavier Veilhan avait fait une grosse exposition. On a eu des échanges avec lui mais on n’était pas associé au montage de l’exposition à proprement parler. Mais c’était l’occasion de se rencontrer, et j’ai d’ailleurs retravaillé avec lui pas mal d’années après sur une exposition qui s’intitulait Futur Antérieur. Il y avait aussi Monica Bonvicini et John Armleder.
LG : Et quelle était la relation à l’équipe du Magasin à l’époque ? Comment ça se passait avec Yves Aupetitallot ?
J-F S : Je pense qu’il ne voyait pas le projet d’un très bon œil. Ça a été assez compliqué. Je me suis pas mal fritté avec lui à ce sujet. Je ne sais pas pourquoi, je n’ai jamais eu le fin mot de l’histoire, et au final ce n’est pas bien grave. Peut-être était-ce aussi tout simplement ma tête, ma personnalité, qui ne lui revenaient pas. Peu importe. Avec dix-huit ans de recul, je pense qu’il s’agissait d’une exposition assez novatrice et assez avant-gardiste. Mais je pense que pour lui ce n’était pas vraiment de l’art. Il y a peut-être une question générationnelle. En tout cas, je sais que ça n’a pas été simple avec lui personnellement pour mener à bien ce projet. Après, avec le reste de l’équipe, on avait des échanges sympathiques. On était surtout proche d’Alice qui nous chaperonnait – elle faisait ça très bien d’ailleurs, elle était à la fois très carrée dans le travail et très chouette humainement parlant.
LG : Et il y avait des liens à l’époque avec la scène artistique de Grenoble, avec l’école d’art ou d’autres acteurs de la région ?
J-F S : On avait essayé d’établir des liens avec quelques squats artistiques qui étaient sur Grenoble à l’époque – eu égard à la dimension activiste de notre sujet. On avait rencontré aussi pas mal d’étudiants de l’école d’art. Après, ça ne s’est pas traduit à travers l’exposition elle-même. On a surtout travaillé avec des collectifs étrangers et quelques-uns français.
LG : Il y avait beaucoup d’artistes dans l’exposition !
J-F S : Ouais, il y avait une grosse liste. En fait, il y en a beaucoup avec qui on a travaillé à distance. Les plus proches c’étaient Critical Art Ensemble, qui sont venus physiquement pour réaliser la performance GeneTerra avec Paul Vanouse, et on a rencontré aussi Ewen Chardonnet qui était à l’époque dans l’Association des Astronautes Autonomes.
LG : Il n’en fait plus partie ?
J-F S : Si, mais l’Association est beaucoup moins active aujourd’hui qu’à l’époque. Ewen fait aussi beaucoup d’autres choses et on continue à travailler ensemble d’ailleurs. On a fait une exposition Marjorie Cameron l’année dernière dans le cadre de l’exposition 20 ans de Mauvais Genres chez agnès b., en partenariat avec France Culture. C’est quelqu’un avec qui j’ai gardé pas mal de contacts réguliers. On avait pas mal travaillé aussi avec Nathalie Magnan sur tout ce qui touchait à l’activisme des média. Un des points positifs, c’était les voyages qu’on avait faits aussi dans le cadre de l’École. On était souvent à Genève, Zürich, Paris ou Lyon, en Allemagne aussi. Ça remonte à loin et je ne pourrais pas vous citer tous les endroits… mais c’était assez enrichissant de voyager et découvrir des lieux. On est allé par exemple visiter le ZKM à Karlsruhe ou la Rotte Fabric et la fondation Migro en Suisse : ce genre d’endroits.
LG : C’était des voyages qui étaient proposés par Alice ?
J-F S : Certains étaient proposés par Lionel ou Alice. Et d’autres étaient choisis par nous en fonction de la problématique de l’exposition et des contributeurs qu’on avait besoin de rencontrer.
LG : Donc il y avait vraiment cette idée qu’au fur et à mesure qu’une problématique émergeait, vous vous empariez du programme et sollicitiez vous-même des intervenants ou des déplacements.
J-F S : Oui, aller rencontrer des acteurs qui nous paraissaient incontournables par rapport au sujet qu’on traitait.
LG : Si j’ai bien compris, vous avez aussi rendu visite à Fareed Armaly, qui dirigeait alors la Künstlerhaus à Stuttgart (et Fareed, comme vous le savez peut-être, sera plus tard le tuteur de quatre sessions). Pouvez-vous me parler de cette rencontre et de l’influence de Fareed dans le développement de votre projet (dans un texte, vous vous référez à lui comme à un consultant).
J-F S : Je ne garde pas un souvenir particulièrement marquant de cette visite ni de cette rencontre. C’était intéressant mais sans plus, il était dans une optique ultra consensuelle qui n’a jamais vraiment été ma tasse de thé.
LG : Parlez-moi du site Internet que vous avez produit : comment s’est-il construit ?
J-F S : Au lieu de produire une publication traditionnelle, on voulait plutôt archiver certains des travaux qu’on avait pu réalisés dans le cadre de cette exposition. C’était un médium qui était plus raccord avec notre problématique qu’un ouvrage papier. Il y avait dans l’équipe Nathalie Gilles qui était webmaster de l’École Nationale des Beaux-Arts de Lyon et du coup, elle nous avait proposé de mettre en place le site. Elle avait les compétences techniques pour le faire et on l’a alimenté avec certains des contenus qu’on a développés au cours de l’année. On voulait que ce soit cohérent avec notre sujet. C’est pas mal parce que même longtemps après, on peut retrouver des traces de ce qui a été fait.
LG : Si je ne me trompe pas, vous êtes la première session à réaliser un site Internet. De mon temps, ça faisait aussi partie d’une invitation qu’on nous faisait de développer un projet en ligne qui était aussi un lieu de recherche, un lieu d’archivage. Réaliser un projet en ligne est devenu par la suite un outil pédagogique, comme l’étaient les voyages et les rencontres.
J-F S : Je pense effectivement qu’on a été la première session. En même temps, vu le sujet abordé, ça semblait tomber sous le sens.
LG : Et c’est quelque chose que vous avez amené vous-même ? Ou était-ce une demande de l’École ?
J-F S : Je ne sais plus trop… Je crois que c’est venu assez spontanément car ça faisait sens par rapport au média auquel on s’intéressait et aussi du fait que Nathalie maîtrisait le webdesign.
LG : Et à l’époque, comment la figure du curateur était-elle envisagée ? Comment la perceviez-vous en tant que groupe, aussi dans ce moment de transition technologique, où les artistes commencent à se saisir des outils en ligne ? Et comment cette expérience à l’École a-t-elle influencé votre propre perception ?
J-F S : À l’époque, c’était assez nouveau. Pour ma part, je n’avais pas du tout un cursus artistique donc je n’avais pas trop de recul sur ce que c’était le commissariat d’exposition. On a étudié ça d’assez près avec Lionel qui nous a fait lire certains bouquins incontournables sur le sujet. On y a beaucoup réfléchi. Personnellement, je n’avais pas vraiment d’idées préconçues sur la question.
LG : Vous vous souvenez de quels bouquins il s’agissait ?
J-F S : Brian O’Doherty, Bob Nickas… Ce genre de choses… D’ailleurs c’est marrant parce que Bob Nickas, par exemple, j’étais assez fan de ce qu’il écrivait sur le plan théorique. Et j’ai eu l’occasion de le rencontrer par la suite lors du vernissage d’une exposition de Ryan McGinley à PS1, il était totalement soûl et s’est montré assez vulgaire et stupide, comme on peut parfois l’être quand on a trop bu. Ce qui n’empêche pas que ce soit par ailleurs un auteur et un commissaire d’exposition brillant, mais parfois il vaut mieux ne jamais rencontrer ses idoles !
Sur le fond, je crois qu’on apprend le métier sur le tas. Les centres d’intérêt personnels se développent par la suite. Dans mon cas, l’École était très orientée sur l’art le plus contemporain au sens de l’art conceptuel, minimal, etc. Moi, ça n’a jamais trop été ma came et dans les expositions que j’ai pu faire après dans le cadre de mon métier, je me suis beaucoup plus intéressé à tout ce qui est pop culture, art populaire, sous/contre-cultures, à la création des marges, notamment en lien avec la musique, la littérature, les sciences ou l’ésotérisme, et d’une manière générale à des choses beaucoup plus « incarnées » que l’art conceptuel. Je n’ai jamais été très à fond dans ce truc d’art conceptuel et je le suis de moins en moins, à vrai dire. Mais c’était intéressant car j’ai acquis plein de connaissances et de méthodologies de travail. Je sais aussi manier le verbiage propre à ce domaine quand il le faut, c’est utile. C’était très formateur. Et quant à la figure du curateur, je pense que ça dépend vraiment des projets. Je me souviens qu’on avait vu la dernière exposition de Harald Szeemann. Lui, par exemple, c’était vraiment la figure du méta-artiste. C’est quelque chose qui m’avait intéressé. Mais le curating, je le voyais comme quelque chose de très large qui dépend vraiment de ce sur quoi on travaille, avec qui on travaille, et dans quel cadre. Pour moi, ce n’est pas quelque chose de figé, de dogmatique. C’est vraiment une question de s’adapter à des contextes, à des problématiques, à des milieux et surtout à des personnalités – le facteur humain est en effet déterminant selon moi.
LG : Et l’exposition elle-même a eu quel type de répercussions ? Car en effet, à l’époque, c’était sans doute quelque chose qu’on n’avait jamais vu en France. Est-ce qu’elle a été relayée par la presse ou les professionnels ?
J-F S : Il y a eu un peu de presse. Il y a eu un article assez élogieux dans la version en ligne de Libération ou Le Monde. Je crois que l’exposition a été pas mal remarquée et relayée par des petits médias ou des sites Internet et par les premiers réseaux activistes du net, forcément. Mais bon, c’était vraiment le début d’Internet donc il y avait une offre de médias beaucoup moins pléthorique qu’aujourd’hui. Mais il y avait quelques échos, même à travers les artistes qu’on avait invités à participer. Comme il y avait beaucoup d’artistes internationaux, il y a eu un petit buzz autour de ce projet-là, et parfois, dans certains milieux un peu geek, il m’arrive de rencontrer des gens qui me parlent encore de cette exposition presque vingt ans après. Ça a aussi développé certains liens sur des problématiques communes, comme celui dont je vous parlais avec Ewen Chardonnet, par exemple. Après, ça restait une exposition de fin d’année dans le cadre d’une formation curatoriale…
LG : Avant de conclure, il y a peut-être une anecdote qu’il vous semble important de partager ?
J-F S : Je me souviens qu’à l’époque où on était au Magasin, c’étaient des conditions de travail qui étaient dures : on se caillait l’hiver, il y avait des trous dans la verrière, il y avait des endroits où on ne pouvait pas exposer parce qu’il y avait des flaques d’eau, il n’y avait quasiment pas de chauffage. Enfin, c’était hard core : il fallait en vouloir ! Mais malgré tout, c’est une année que je n’ai pas regrettée. C’était assez intense, intensif même. C’était une super expérience.